retour sur @lyon coup de coeur du jour discussion roulette meteo locale Les contes libertins de Jean de La Fontaine retour
editorial contact par mail

Nouveaux contes - publiés sans être finis d'imprimés, ni privilège ou permission en 1674

Le 5 Avril 1675, ces nouveaux contes sont saisis et interdits à la publication et à la vente.

Comment l'esprit vient aux filles

Il est un jeu divertissant sur tous,
Jeu dont l'ardeur souvent se renouvelle :
Ce qui m'en plaît, c'est que tant de cervelle
N'y fait besoin, et ne sert de deux clous.
Or devinez comment ce jeu s'appelle.
Vous y jouez ; comme aussi faisons-nous :
Il divertit et la laide et la belle :
Soit jour, soit nuit, à toute heure il est doux ;
Car on y voit assez clair sans chandelle.
Or devinez comment ce jeu s'appelle.
Le beau du jeu n'est connu de l'époux ;
C'est chez l'amant que ce plaisir excelle :
De regardants pour y juger des coups,
Il n'en faut point, jamais on n'y querelle.
Or devinez comment ce jeu s'appelle.
Qu'importe-t-il ? sans s'arrêter au nom,
Ni badiner là-dessus davantage,
Je vais encor vous en dire un usage,
Il fait venir l'esprit et la raison.
Nous le voyons en mainte bestiole.
Avant que Lise allât en cette école,
Lise n'était qu'un misérable oison.
Coudre et filer c'était son exercice ;
Non pas le sien, mais celui de ses doigts ;
Car que l'esprit eût part à cet office,
Ne le croyez ; il n'était nuls emplois
Où Lise pût avoir l'âme occupée :
Lise songeait autant que sa poupée.
Cent fois le jour sa mère lui disait :
Va-t-en chercher de l'esprit malheureuse.
La pauvre fille aussitôt s'en allait
Chez les voisins, affligée et honteuse,
Leur demandant où se vendait l'esprit.
On en riait ; à la fin l'on lui dit :
Allez trouver père Bonaventure,
Car il en a bonne provision.
Incontinent la jeune créature
S'en va le voir, non sans confusion :
Elle craignait que ce ne fût dommage
De détourner ainsi tel personnage.
Me voudrait-il faire de tels présents,
A moi qui n'ai que quatorze ou quinze ans ?
Vaux-je cela ? disait en soi la belle.
Son innocence augmentait ses appas :
Amour n'avait à son croc de pucelle
Dont il crut faire un aussi bon repas.
Mon Révérend, dit-elle au béat homme
Je viens vous voir ; des personnes m'ont dit
Qu'en ce couvent on vendait de l'esprit :
Votre plaisir serait-il qu'à crédit
J'en pusse avoir ? non pas pour grosse somme ;
A gros achat mon trésor ne suffit :
Je reviendrai s'il m'en faut davantage :
Et cependant prenez ceci pour gage.
A ce discours, je ne sais quel anneau
Qu'elle tirait de son doigt avec peine
Ne venant point, le père dit : Tout beau
Nous pourvoirons à ce qui vous amène
Sans exiger nul salaire de vous :
Il est marchande et marchande, entre nous ;
A l'une on vend ce qu'à l'autre l'on donne.
Entrez ici ; suivez-moi hardiment ;
Nul ne nous voit, aucun ne nous entend,
Tous sont au choeur ; le portier est personne
Entièrement à ma dévotion ;
Et ces murs ont de la discrétion.
Elle le suit ; ils vont à sa cellule.
Mon Révérend la jette sur un lit,
Veut la baiser ; la pauvrette recule
Un peu la tête ; et l'innocente dit :
Quoi c'est ainsi qu'on donne de l'esprit ?
Et vraiment oui, repart Sa Révérence ;
Puis il lui met la main sur le téton :
Encore ainsi ? Vraiment oui ; comment donc ?
La belle prend le tout en patience :
Il suit sa pointe ; et d'encor en encor
Toujours l'esprit s'insinue et s'avance,
Tant et si bien qu'il arrive à bon port.
Lise riait du succès de la chose.
Bonaventure à six moments de là
Donne d'esprit une seconde dose.
Ce ne fut tout, une autre succéda ;
La charité du beau père était grande.
Et bien, dit-il, que vous semble du jeu ?
A nous venir l'esprit tarde bien peu
Reprit la belle ; et puis elle demande
Mais s'il s'en va ? s'il s'en va ? nous verrons
D'autres secrets se mettent en usage
N'en cherchez point, dit Lise, davantage ;
De celui-ci nous nous contenterons
Soit fait, dit-il, nous recommencerons
Au pis aller, tant et tant qu'il suffise.
Le pis aller sembla le mieux à Lise
Le secret même encor se répéta
Par le Pater ; il aimait cette danse.
Lise lui fait une humble révérence ;
Et s'en retourne en songeant à cela.
Lise songer ! quoi déjà Lise songe !
Elle fait plus, elle cherche un mensonge,
Se doutant bien qu'on lui demanderait,
Sans y manquer, d'où ce retard venait
Deux jours après sa compagne Nanette
S'en vient la voir pendant leur entretien
Lise rêvait : Nanette comprit bien,
Comme elle était clairvoyante et finette,
Que Lise alors ne rêvait pas pour rien.
Elle fait tant, tourne tant son amie,
Que celle-ci lui déclare le tout.
L'autre n'était à l'ouïr endormie.
Sans rien cacher, Lise de bout en bout
De point en point lui conte le mystère,
Dimensions de I'esprit du beau père,
Et les encore, enfin tout le phébé.
Mais vous, dit-elle, apprenez-nous de grâce
Quand et par qui l'esprit vous fut donné.
Anne reprit : Puisqu'il faut que je fasse
Un libre aveu, c'est votre frère Alain
Qui m'a donné de l'esprit un matin.
Mon frère Alain ! Alain ! s'écria Lise,
Alain mon frère ! ah je suis bien surprise ;
Il n'en a point ; comme en donnerait-il ?
Sotte, dit l'autre, hélas tu n'en sais guère :
Apprends de moi que pour pareille affaire
Il n'est besoin que l'on soit si subtil.
Ne me crois-tu ? sache-le de ta mère ;
Elle est experte au fait dont il s'agit ;
Si tu ne veux, demande au voisinage ;
Sur ce point-là l'on t'aura bientôt dit :
Vivent les sots pour donner de l'esprit.
Lise s'en tint à ce seul témoignage,
Et ne crut pas devoir parler de rien.
Vous voyez donc que je disais fort bien
Quand je disais que ce jeu-là rend sage.

L'abbesse

L'exemple sert, l'exemple nuit aussi :
Lequel des deux doit l'emporter ici,
Ce n'est mon fait ; l'un dira que l'abbesse
En usa bien, l'autre au contraire mal,
Selon les gens : bien ou mal je ne laisse
D'avoir mon compte, et montre en général,
Par ce que fit tout un troupeau de nonnes,
Qu'ouailles sont la plupart des personnes ;
Qu'il en passe une, il en passera cent ;
Tant sur les gens est l'exemple puissant.
Je le répète, et dis, vaille que vaille,
Le monde n'est que franche moutonnaille.
Du premier coup ne croyez que l'on aille
A ses périls le passage sonder ;
On est longtemps a s'entre-regarder ;
Les plus hardis ont-ils tenté l'affaire,
Le reste suit, et fait ce qu'il voit faire.
Qu'un seul mouton se jette en la rivière,
Vous ne verrez nulle âme moutonnière
Rester au bord, tous se noieront à tas.
Maître François en conte un plaisant cas.
Ami lecteur, ne te déplaira pas,
Si sursoyant ma principale histoire
Je te remets cette chose en mémoire.
Panurge allait l'oracle consulter.
Il naviguait, ayant dans la cervelle,
Je ne sais quoi qui vint l'inquiéter.
Dindenaut passe ; et médaille l'appelle
De vrai cocu. Dindenaut dans sa nef
Menait moutons. Vendez-m'en un, dit l'autre.
Voire, reprit Dindenaut, l'ami notre,
Penseriez-vous qu'on put venir à chef
D'assez priser ni vendre telle aumaille ?
Panurge dit : Notre ami, coûte et vaille,
Vendez-m'en un pour or ou pour argent.
Un fut vendu. Panurge incontinent
Le jette en mer ; et les autres de suivre.
Au diable l'un, à ce que dit le livre,
Qui demeura. Dindenaut au collet
Prend un bélier, et le bélier l'entraîne.
Adieu mon homme : il va boire au godet.
Or revenons : ce prologue me mène
Un peu bien loin. J'ai posé dès l'abord
Que tout exemple est de force très grande :
Et ne me suis écarté par trop fort
En rapportant la moutonnière bande
Car notre histoire est d'ouailles encor.
Une passa, puis une autre, et puis une :
Tant qu'à passer s'entre-pressant chacune
On vit enfin celle qui les gardait
Passer aussi : c'est en gros tout le conte :
Voici comment en détail on le conte.
Certaine abbesse un certain mal avait
Pâles couleurs nommé parmi les filles :
Mal dangereux, et qui des plus gentilles
Détruit l'éclat, fait languir les attraits.
Notre malade avait la face blême
Tout justement comme un saint de careme,
Bonne d'ailleurs, et gente à cela près.
La Faculté sur ce point consultée,
Après avoir la chose examinée,
Dit que bientôt Madame tomberait
En fièvre lente, et puis qu'elle mourrait.
Force sera que cette humeur la mange ;
A moins que de. . . l'a moins est bien étrange
A moins enfin qu'elle n'ait à souhait
Compagnie d'homme. Hippocrate ne fait
Choix de ses mots, et tant tourner ne sait.
Jésus, reprit toute scandalisée
Madame abbesse : hé que dites-vous là ?
Fi. Nous disons, repartit à cela
La Faculté, que pour chose assurée
Vous en mourrez, à moins d'un bon galant
Bon le faut-il, c'est un point important :
Autre que bon n'est ici suffisant
Et si bon n'est deux en prendrez Madame.
Ce fut bien pis ; non pas que dans son âme
Ce bon ne fût par elle souhaité
Mais le moyen que sa communauté
Lui vît sans peine approuver telle chose ?
Honte souvent est de dommage cause.
Soeur Agnès dit : Madame croyez-les.
Un tel remède est chose bien mauvaise,
S'il a le goût méchant à beaucoup près
Comme la mort. Vous faites cent secrets
Faut-il qu'un seul vous choque et vous déplaise ?
Vous en parlez, Agnès, bien à votre aise,
Reprit l'abbesse : or, ca, par votre Dieu,
Le feriez-vous ? mettez-vous en mon lieu.
Oui da, Madame ; et dis bien davantage :
Votre santé m'est chère jusque-là
Que s'il fallait pour vous souffrir cela,
Je ne voudrais que dans ce témoignage
D'affection pas une de céans
Me devançât. Mille remerciements
A Soeur Agnès donnés par son abbesse
La Faculté dit adieu là-dessus
Et protesta de ne revenir plus.
Tout le couvent se trouvait en tristesse,
Quand soeur Agnès qui n'était de ce lieu
La moins sensée, au reste bonne lame,
Dit a ses soeurs : Tout ce qui tient Madame
Est seulement belle honte de Dieu.
Par charité n'en est-il point quelqu'une
Pour lui montrer l'exemple et le chemin ?
Cet avis fut approuvé de chacune :
On l'applaudit, il court de main en main.
Pas une n'est qui montre en ce dessein
De la froideur, soit nonne, soit nonnette,
Mère prieure, ancienne, ou discrète,
Le billet trotte : on fait venir des gens
De toute guise, et des noirs, et des blancs,
Et des tannés L'escadron, dit l'histoire,
Ne fut petit, ni comme l'on peut croire
Lent à montrer de sa part le chemin.
Ils ne cédaient à pas une nonnain
Dans le désir de faire que Madame
Ne fut honteuse, ou bien n eut dans son âme
Tel récipe possible à contrecoeur
De ses brebis à peine la première
A fait le saut, qu'il suit une autre soeur.
Une troisième entre dans la carrière.
Nulle ne veut demeurer en arrière.
Presse se met pour n'être la dernière
Qui ferait voir son zèle et sa ferveur
A mère abbesse. Il n'est aucune ouaille
Qui ne s'y jette ; ainsi que les moutons
De Dindenaut dont tantôt nous parlions
S'allaient jeter chez la gent porte-écaille.
Que dirai plus ? enfin l'impression
Qu'avait l'abbesse encontre ce remède,
Sage rendue à tant d'exemples cède.
Un jouvenceau fait l'opération
Sur la malade. Elle redevient rose,
Oeillet, aurore, et si quelque autre chose
De plus riant se peut imaginer.
O doux remède, o remède à donner,
Remède ami de mainte créature,
Ami des gens, ami de la nature,
Ami de tout, point d'honneur excepté.
Point d'honneur est une autre maladie -
Dans ses écrits Madame Faculté
N'en parle point. Que de maux en la vie !

Les Troqueurs

Le changement de mets réjouit l'homme :
Quand je dis l'homme, entendez qu'en ceci
La femme doit être comprise aussi :
Et ne sais pas comme il ne vient de Rome
Permission de troquer en hymen ;
Non si souvent qu'on en aurait envie,
Mais tout au moins une fois en sa vie :
Peut-être un jour nous l'obtiendrons, Amen,
Ainsi soit-il ; semblable indult en France
Viendrait fort bien, j'en réponds, car nos gens
Sont grands troqueurs, Dieu nous créa changeants.
Près de Rouen, pays de sapience,
Deux villageois avaient chacun chez soi
Forte femelle, et d'assez bon aloi,
Pour telles gens qui n'y raffinent guère ;
Chacun sait bien qu'il n'est pas nécessaire
Qu'amour les traite ainsi que des prélats.
Avint pourtant que tous deux étant las
De leurs moitiés, leur voisin le notaire
Un jour de fête avec eux chopinait.
Un des manants lui dit : Sire Oudinet,
J'ai dans l'esprit une plaisante affaire.
Vous avez fait sans doute en votre temps
Plusieurs contrats de diverse nature,
Ne peut-on point en faire un ou les gens
Troquent de femme ainsi que de monture ?
Notre pasteur a bien changé de cure :
La femme est-elle un cas si différent ?
Et pargué non ; car messire Grégoire
Disait toujours, si j'ai bonne mémoire :
Mes brebis sont ma femme : cependant
Il a changé : changeons aussi compère.
Très volontiers, reprit l'autre manant ;
Mais tu sais bien que notre ménagère
Est la plus belle : or ça, Sire Oudinet,
Sera-ce trop s'il donne son mulet
Pour le retour ? Mon mulet ? et parguenne
Dit le premier des villageois susdits,
Chacune vaut en ce monde son prix ;
La mienne ira but à but pour la tienne ;
On ne regarde aux femmes de si près :
Point de retour, vois-tu, compère Etienne,
Mon mulet, c'est. . . c'est le roi des mulets.
Tu ne devrais me demander mon âne
Tant seulement : troc pour troc, touche là.
Sire Oudinet raisonnant sur cela
Dit : Il est vrai que Tiennette a sur Jeanne
De l'avantage, à ce qu'il semble aux gens ;
Mais le meilleur de la bête à mon sens
N'est ce qu'on voit ; femmes ont maintes choses
Que je préfère, et qui sont lettres closes ;
Femmes aussi trompent assez souvent
Jà ne les faut éplucher trop avant.
Or sus voisins, faisons les choses nettes
Vous ne voulez chat en poche donner
Ni l'un ni l'autre, allons donc confronter
Vos deux moitiés comme Dieu les a faites.
L'expédient ne fut goûté de tous :
Trop bien voilà messieurs les deux époux
Qui sur ce point triomphent de s'étendre
Tiennette n'a ni suros ni malandre,
Dit le second. Jeanne, dit le premier,
A le corps net comme un petit denier ;
Ma foi c'est basme. Et Tiennette est ambroise,
Dit son époux ; telle je la maintien.
L'autre reprit : Compère tiens-toi bien ;
Tu ne connais Jeanne ma villageoise ;
Je t'avertis qu'à ce jeu. . . m'entends-tu ?
L'autre manant jura : Par la vertu,
Tiennette et moi nous n'avons qu'une noise,
C'est qui des deux y sait de meilleurs tours ;
Tu m'en diras quelques mots dans deux jours :
A toi Compère. Et de prendre la tasse,
Et de trinquer ; allons, Sire Oudinet,
A Jeanne ; top ; puis à Tiennette ; masse .
Somme qu'enfin la soulte du mulet
Fut accordée, et voilà marché fait.
Notre notaire assura l'un et l'autre
Que tels traités allaient leur grand chemins :
Sire Oudinet était un bon apôtre
Qui se fit bien payer son parchemin.
Par qui, payer ? par Jeanne et par Tiennette.
II ne voulut rien prendre des maris.
Les villageois furent tous deux d'avis
Que pour un temps la chose fut sécrète ;
Mais il en vint au curéquelque vent.
Il prit aussi son droit ; je n'en assure,
Et n'y étais ; mais la vérité pure
Est que curés y manquent peu souvent.
Le clerc non plus ne fit du sien remise ;
Rien ne se perd entre les gens d'Eglise.
Les permuteurs ne pouvaient bonnement
Exécuter un pareil changement
Dans ce village, à moins que de scandale :
Ainsi bientôt l'un et l'autre détale,
Et va planter le piquet en un lieu
Où tout fut bien d'abord moyennant Dieu.
C'était plaisir que de les voir ensemble.
Les femmes même, a l'envi des maris
S'entre-disaient en leurs menus devis :
Bon fait troquer, Commère, à ton avis ?
Si nous troquions de valet ? que t'en semble ?
Ce dernier troc, s'il se fit, fut secret.
L'autre d'abord eut un très bon effet.
Le premier mois très bien ils s'en trouvèrent ;
Mais à la fin nos gens se dégoûtèrent.
Compère Etienne, ainsi qu'on peut penser,
Fut le premier des deux à se lasser,
Pleurant Tiennette, il y perdait sans doute
Compère Gille eut regret à sa soulte.
Il ne voulut retroquer toutefois.
Qu'en advint-il ? un jour parmi les bois
Etienne vit toute fine seulette
Près d'un ruisseau sa défunte Tiennette,
Qui par hasard dormait sous la coudrette.
Il s'approcha l'éveillant en sursaut.
Elle du troc ne se souvint pour l'heure ;
Donc le galant sans plus longue demeure
En vint au point. Bref ils firent le saut.
Le conte dit qu'il la trouva meilleure
Qu'au premier jour : pourquoi cela ? pourquoi ?
Belle demande ; en l'amoureuse loi
Pain qu'on dérobe et qu'on mange en cachette
Vaut mieux que pain qu'on cuit ou qu'on achète.
Je m'en rapporte aux plus savants que moi.
Il faut pourtant que la chose soit vraie
Et qu'après tout Hyménée et l'Amour
Ne soient pas gens à cuire en même four ;
Témoin l'ébat qu'on prit sous la coudraie.
On y fit chère ; il ne s'y servit plat
Où maître Amour cuisinier délicat
Et plus friand que n'est maître Hyménée
N'eût mis la main. Tiennette retournée,
Compère Etienne homme neuf en ce fait
Dit à part soi : Gille a quelque secret,
J'ai retrouve Tiennette plus jolie
Qu'elle ne fut onc en jour de sa vie.
Reprenons-la, faisons tour de Normand ;
Dédisons-nous, usons du privilège.
Voilà l'exploit qui trotte incontinent,
Aux fins de voir le troc et changement
Déclaré nul, et cassé nettement.
Gille assigné de son mieux se défend.
Un promoteur intervient pour le siège
Episcopal, et vendique le cas.
Grand bruit partout ainsi que d'ordinaire :
Le parlement évoque à soi l'affaire.
Sire Oudinet le faiseur de contrats
Est amené ; l'on l'entend sur la chose.
Voilà l'état où l'on dit qu'est la cause ;
Car c'est un fait arrivé depuis peu.
Pauvre ignorant que le compère Etienne !
Contre ses fins cet homme en premier lieu
Va de droit fil ; car s'il prit à ce jeu
Quelque plaisir, c'est qu'alors la chrétienne
N'était à lui : le bons sens voulait donc
Que pour toujours il la laissât à Gille ;
Sauf la coudraie, où Tiennette, dit-on,
Allait souvent en chantant sa chanson ;
L'y rencontrer était chose facile.
Et suppose que facile ne fut,
Fallait qu'alors son plaisir d'autant crut.
Mais allez-moi prêcher cette doctrine
A des manants : ceux-ci pourtant avaient
Fait un bon tour, et très bien s'en trouvaient
Sans le dédit ; c'était pièce assez fine
Pour en devoir l'exemple à d'autres gens :
J'ai grand regret de n'en avoir les gants.
Et dis parfois, alors que j'y rumine :
Aurait-on pris des croquants pour troquants
En fait de femme ? il faut être honnête homme
Pour s'aviser d'un pareil changement.
Or n'est l'affaire allée en cour de Rome,
Trop bien est-elle au Senat de Rouen.
Là le notaire aura du moins sa gamme
En plein barreau. Dieu gard sire Oudinet
D'un rapporteur barbon et bien en femme
Qui fasse aller cette affaire au bonnet.

Le Cas de Conscience

Les gens du pays des fables
Donnent ordinairement
Noms et titres agréables
Assez libéralement.
Cela ne leur coûte guère.
Tout leur est nymphe ou bergère
Et déesse bien souvent.
Horace n'y faisait faute.
Si la servante de l'hôte
Au lit de notre homme allait
C'était aussitôt Ilie
C'était la nymphe Egérie,
C'était tout ce qu'on voulait.
Dieu, par sa bonté profonde,
Un beau jour mit dans le monde
Apollon son serviteur ;
Et l'y mit justement comme
Adam le nomenclateur,
Lui disant : Te voilà, nomme.
Suivant cette antique loi
Nous sommes parrains du Roi.
De ce privilège insigne,
Moi faiseur de vers indigne
Je pourrais user aussi
Dans les contes que voici ;
Et s'il me plaisait de dire,
Au lieu d'Anne Sylvanire,
Et pour messire Thomas
Le grand druide Adamas,
Me mettrait-on à l'amende ?
Non : mais tout considère,
Le présent conte demande
Qu'on dise Anne et le curé.
Anne, puisqu'ainsi va, passait dans son village
Pour la perle et la parangon.
Etant un jour près d'un rivage,
Elle vit un jeune garçon
Se baigner nu. La fillette était drue,
Honnête toutefois. L'objet plut à sa vue.
Nuls défauts ne pouvaient être au gars reprochés :
Puis dès auparavant aimé de la bergère,
Quand il en aurait eu l'Amour les eût cachés ;
Jamais tailleur n'en sut mieux que lui la manière.
Anne ne craignait rien ; des saules la couvraient
Comme eût fait une jalousie :
Ca et là ses regards en liberté couraient
Où les portait leur fantaisie,
Cà et là, c'est-à-dire aux différents attraits
Du garçon au corps jeune et frais,
Blanc, poli, bien formé, de taille haute et drète,
Digne enfin des regards d'Annette.
D'abord une honte secrète
La fit quatre pas reculer,
L'amour huit autres avancer :
Le scrupule survint, et pensa tout gâter.
Anne avait bonne conscience :
Mais comment s'abstenir ? est-il quelque défense
Qui l'emporte sur le désir
Quand le hasard fait naître un sujet de plaisir ?
La belle à celui-ci fit quelque résistance.
A la fin ne comprenant pas
Comme on peut pêcher de cent pas,
Elle s'assit sur l'herbe ; et très fort attentive
Annette la contemplative
Regarda de son mieux. Quelqu'un n'a-t-il point vu
Comme on dessine sur nature ?
On vous campe une creature,
Une Eve, ou quelque Adam, j'entends un objet nu ;
Puis force gens assis comme notre bergère
Font un crayon conforme à cet original.
Au fond de sa mémoire Anne en sut fort bien faire
Un qui ne ressemblait pas mal.
Elle y serait encor si Guillot (c'est le sire)
Ne fût sorti de l'eau. La belle se retire
A propos ; l'ennemi n'était plus qu'à vingt pas,
Plus fort qu'à l'ordinaire, et c'eût été grand cas
Qu'après de semblables idées
Amour en fut demeuré là :
Il comptait pour siennes déjà
Les faveurs qu'Anne avait gardées.
Qui ne s'y fût trompé ? plus je songe à cela,
Moins je le puis comprendre. Anne la scrupuleuse
N'osa quoi qu'il en soit le garçon régaler ;
Ne laissant pas pourtant de récapituler
Les points qui la rendaient encor toute honteuse.
Pâques vint, et ce fut un nouvel embarras.
Anne faisant passer ses pêchés en revue,
Comme un passe-volant mit en un coin ce cas ;
Mais la chose fut aperçue.
Le curé messire Thomas
Sut relever le fait ; et comme l'on peut croire
En confesseur exact il fit conter l'histoire,
Et circonstancier le tout fort amplement,
Pour en connaître l'importance,
Puis faire aucunement cadrer la pénitence,
Chose où ne doit errer un confesseur prudent.
Celui-ci malmena la belle
Etre dans ses regards à tel point sensuelle !
C'est, dit-il, un très grand pêché.
Autant vaut l'avoir vu que de l'avoir touche.
Cependant la peine imposée
Fut à souffrir assez aisée.
Je n'en parlerai point ; seulement on saura
Que Messieurs les curés, en tous ces cantons-là,
Ainsi qu'au nôtre avaient des dévots et dévotes,
Qui pour l'examen de leurs fautes
Leur payaient un tribut ; qui plus qui moins selon
Que le compte à rendre était long.
Du tribut de cet an Anne étant soucieuse,
Arrive que Guillot pèche un brochet fort grand :
Tout aussitôt le jeune amant
Le donne a sa maîtresse ; elle toute joyeuse
Le va porter du même pas
Au curé messire Thomas.
Il reçoit le présent, il l'admire, et le drôle
D'un petit coup sur l'épaule
La fillette régala,
Lui sourit, lui dit : Voilà
Mon fait, joignant à cela
D'autres petites affaires :
C'était jour de Calende, et nombre de confrères
Devaient dîner chez lui. Voulez-vous doublement
M'obliger ? dit-il à la belle ;
Accommodez chez vous ce poisson promptement.
Puis l'apportez incontinent,
Ma servante est un peu nouvelle.
Anne court ; et voilà les prêtres arrivés.
Grand bruit, grande cohue, en cave on se transporte.
Aucuns des vins sont approuvés :
Chacun en raisonne à sa sorte.
On met sur table ; et le doyen
Prend place en saluant toute la compagnie.
Raconter leurs propos serait chose infinie ;
Puis le lecteur s'en doute bien.
On permuta cent fois sans permuter pas une.
Santés, Dieu sait combien : chacun a sa chacune
But en faisant de l'oeil ; nul scandale : on servit
Potage, menus mets, et même jusqu'au fruit
Sans que le brochet vînt ; tout le dîner s'achève
Sans brochet pas un brin. Guillot sachant ce don
L'avait fait rétracter pour plus d'une raison.
Légère de brochet la troupe enfin se lève.
Qui fut bien étonné, qu'on le juge : il alla
Dire ceci, dire cela
A Madame Anne le jour même
L'appela cent fois sotte, et dans sa rage extrême
Lui pensa reprocher l'aventure du bain.
Traiter votre cure, dit-il, comme un coquin !
Pour qui nous prenez-vous ? pasteur sont-ce canailles ?
Alors par droit de représailles
Anne dit au prêtre outragé :
Autant vaut l'avoir vu que de l'avoir mangé.

Le Diable de Papefiguière


Maître François dit que Papimanie
Est un pays où les gens sont heureux.
Le vrai dormir ne fut fait que pour eux :
Nous n'en avons ici que la copie.
Et par saint Jean, si Dieu me prête vie,
Je le verrai ce pays où l'on dort :
On y fait plus, on n'y fait nulle chose
C'est un emploi que je recherche encor.
Ajoutez-y quelque petite dose
D'amour honnête, et puis me voilà fort.
Tout au rebours il est une province
Où les gens sont haïs, maudits de Dieu.
On les connaît à leur visage mince,
Le long dormir est exclu de ce lieu :
Partant, lecteurs, si quelqu'un se présente
A vos regards, ayant face riante
Couleur vermeille, et visage replet,
Taille non pas de quelque mingrelet,
Dire pourrez, sans que l'on vous condamne,
Cettui me semble à le voir Papimane.
Si d'autre part celui que vous verrez
N'a l'oeil riant, le corps rond, le teint frais,
Sans hésiter qualifiez cet homme
Papefiguier. Papefigue se nomme
L'île et province où les gens autrefois
Firent la figue au portrait du saint-père :
Punis en sont ; rien chez eux ne prospère -
Ainsi nous l'a conté maître François.
L'île fut lors donnée en apanage
A Lucifer c'est sa maison des champs
On voit courir par tout cet héritage
Ses commensaux rudes à pauvres gens,
Peuple ayant queue, ayant cornes et griffes
Si maints tableaux ne sont point apocryphes.
Avint un jour qu'un de ces beaux messieurs
Vit un manant rusé, des plus trompeurs
Verser ? un champ dans l'île dessus dite.
Bien paraissait la terre être maudite
Car Ie manant avec peine et sueur
La retournait, et faisait son labeur.
Survient un diable à titre de seigneur.
Ce diable était des gens de l'Evangile,
Simple, ignorant à tromper très facile,
Bon gentilhomme at qui, dans son courroux
N'avait encor tonné que sur les choux.
Plus ne savait apporter de dommage.
Vilain, dit-il, vaquer à nul ouvrage
N'est mon talent : je suis un diable issu
De noble race, et qui n'a jamais su
Se tourmenter ainsi que font les autres.
Tu sais vilain que tous ces champs sont nôtres :
Ils sont à nous dévolus par l'édit
Qui mit jadis cette île en interdit.
Vous y vivez dessous notre police.
Partant, vilain, je puis avec justice
M'attribuer tout le fruit de ce champ :
Mais je suis bon, et veux que dans un an
Nous partagions sans noise et sans querelle.
Quel grain veux-tu répandre dans ces lieux ?
Le manant dit : Monseigneur, pour le mieux
Je crois qu'il faut les couvrir de touselle
Car c'est un grain qui vient fort aisément.
Je ne connais ce grain-là nullement,
Dit le lutin ; comment dis-tu ? touselle ?
Mémoire n'ai d'aucun grain qui s'appelle
De cette sorte or emplis-en ce lieu :
Touselle soit, touselle de par Dieu,
J'en suis content. Fais donc vite, et travaille ;
Manant travaille et travaille vilain :
Travailler est le fait de la canaille :
Ne t'attends pas que je t'aide un seul brin,
Ni que par moi ton labeur se consomme :
Je t'ai déjà dit que j'étais gentilhomme,
Né pour chommer et pour ne rien savoir.
Voici comment ira notre partage.
Deux lots seront ; dont l'un, c'est à savoir
Ce qui hors terre et dessus l'héritage
Aura poussé demeurera pour toi ;
L'autre dans terre est réservé pour moi.
L'août arrivé, la touselle est sciée,
Et tout d'un temps sa racine arrachée,
Pour satisfaire au lot du diableteau.
Il y croyait la semence attachée,
Et que l'épi non plus que le tuyau
N'était qu'une herbe inutile et séchée.
Le laboureur vous la serra très bien.
L'autre au marché porta son chaume vendre
On le. hua ; pas un n'en offrit rien :
Le pauvre diable était prêt à se pendre.
II s'en alla chez son copartageant :
Le drôle avait la touselle vendue,
Pour le plus sûr, en gerbe et non battue,
Ne manquant pas de bien cacher l'argent.
Bien le cacha ; le diable en fut la dupe.
Coquin, dit-il, tu m'as joué d'un tour.
C'est ton métier : je suis diable de cour
Qui comme vous à tromper ne m'occupe.
Quel grain veux-tu semer pour l'an prochain ?
Le manant dit : Je crois qu'au lieu de grain
Planter me faut ou navets ou carottes :
Vous en aurez, Monseigneur, pleines hottes :
Si mieux n'aimez raves dans la saison.
Raves, navets, carottes, tout est bon,
Dit le lutin, mon lot sera hors terre
Le tien dedans. Je ne veux point de guerre
Avecque toi si tu ne m'y contrains.
Je vais tenter quelques jeunes nonnains.
L'auteur ne dit ce que firent les nonnes.
Le temps venu de recueillir encor,
I. e manant prend raves belles et bonnes,
Feuilles sans plus tombent pour tout trésor
Au diableteau, qui l'épaule chargée
Court au marché. Grande fut la risée :
Chacun lui dit son mot cette fois-là.
Monsieur le diable, où croît cette denrée ?
Où mettrez-vous ce qu'on en donnera ?
Plein de courroux et vuide de pécune
Léger d'argent et chargé de rancune,
Il va trouver le manant qui riait
Avec sa femme, et se solaciait
Ah par la mort, par le sang, par la tête,
Dit le démon, il le payra par bieu.
Vous voici donc Phlipot la bonne bête ;
Ca ; Ca, galons-le en enfant de bon lieu.
Mais il vaut mieux remettre la partie :
J'ai sur les bras une dame jolie
A qui je dois faire franchir le pas
Elle Ie veut, et puis ne le veut pas.
L'époux n'aura dedans la confrérie
Sitôt un pied qu'à vous je reviendrai,
Maitre Phlipot, et tant vous galerai
Que ne jouerez ces tours de votre vie.
A coups de griffe il faut que nous voyions
Lequel aura de nous deux belle amie,
Et jouira du fruit de ces sillons.
Prendre pourrais d'autorité suprême
Touselle et grain, champ et rave, enfin tout.
Mais je les veux avoir par le bon bout.
N'espérez plus user de stratagème.
Dans huit jours d'hui, je suis à vous Phlipot,
Et touchez là, ceci sera mon arme.
Le villageois étourdi du vacarme
Au fardadet ne put répondre un mot.
Perrette en rit ; c'était sa ménagère,
Bonne galande en toutes les façons,
Et qui sut plus que garder les moutons
Tant qu'elle fut en âge de bergère.
Elle lui dit : Phlipot, ne pleure point :
Je veux d'ici renvoyer de tout point
Ce diableteau : c'est un jeune novice
Qui n'a rien vu : je t'en tirerai hors :
Mon petit doigt saurait plus de malice,
Si je voulais, que n'en sait tout son corps.
Le jour venu Phlipot qui n'était brave
Se va cacher, non point dans une cave,
Trop bien va-t-il se plonger tout entier
Dans un profond et large bénitier
Aucun démon n'eût su par où le prendre,
Tant fut subtil ; car d'étoles, dit-on,
Il s'affubla le chef pour s'en défendre,
S'étant plongé dans l'eau jusqu'au menton.
Or le laissons, il n'en viendra pas faute.
Tout le clergé chante autour à voix haute
Vade retro. Perrette cependant
Est au logis le lutin attendant.
Le lutin vient : Perrette échevelée
Sort, et se plaint de Phlipot, en criant :
Ah le bourreau, le traître, le méchant
Il m'a perdue, il m'a toute affolée
Au nom de Dieu, Monseigneur, sauvez-vous.
A coup de griffe il m'a dit en courroux
Qu'il se devait contre Votre Excellence
Battre tantôt, et battre à toute outrance.
Pour s'éprouver le perfide m'a fait
Cette balafre. A ces mots au follet
Elle fait voir. . . Et quoi ? chose terrible.
Le diable en eut une peur tant horrible
Qu'il se signa, pensa presque tomber ;
Onc n'avait vu, ne lu, n'ouï conter
Que coups de griffe eussent semblable forme
Bref aussitôt qu'il aperçut l'énorme
Solution de continuité,
Il demeura si fort épouvanté,
Qu'il prit la fuite, et laissa là Perrette.
Tous les voisins chommèrent la defaite
De ce démon : le clergé ne fut pas
Des plus tardifs à prendre part au cas.

Féronde ou le purgatoire

Vers le Levant le Vieil de la Montagne
Se rendit craint par un moyen nouveau.
Craint n'était-il pour l'immense campagne
Qu'il possédât, ni pour aucun monceau
D'or ou d'argent ; mais parce qu'au cerveau
De ses sujets il imprimait des choses
Qui de maint fait courageux étaient causes.
Il choisissait entre eux les plus hardis ;
Et leur faisait donner du paradis
Un avant-goût à leurs sens perceptible ;
Du paradis de son législateur ;
Rien n'en a dit ce prophète menteur
Qui ne devînt très croyable et sensible
A ces gens-là : comment s'y prenait-on ?
On les faisait boire tous de façon
Qu'ils s'enivraient, perdaient sens et raison.
En cet état, privés de connaissance,
On les portait en d'agréables lieux,
Ombrages frais, jardins délicieux.
Là se trouvaient tendrons en abondance
Plus que mailles, et beaux par excellence :
Chaque réduit en avait à couper.
Si se venaient joliment attrouper
Près de ces gens qui leur boisson cuvée
S'émerveillaient de voir cette couvée
Et se croyaient habitants devenus
Des champs heureux qu'assigne à ses élus
Le faux Mahom. Lors de faire accointance,
Turcs d'approcher, tendrons d'entrer en danse'
Au gazouillis des ruisseaux de ces bois,
Au son de luths accompagnant les voix
Des rossignols : il n'est plaisir au monde
Qu'on ne goûtât dedans ce paradis :
Les gens trouvaient en son charmant pourpris
Les meilleurs vins de la machine ronde ;
Dont ne manquaient encor de s'enivrer,
Et de leur sens perdre l'entier usage.
On les faisait aussitôt reporter
Au premier lieu de tout ce tripotage
Qu'arrivait-il ? ils croyaient fermement
Que quelque jour de semblables délices
Les attendaient, pourvu que hardiment,
Sans redouter la mort ni les supplices,
Ils fissent chose agréable à Mahom,
Servant leur prince en toute occasion.
Par ce moyen leur prince pouvait dire
Qu'il avait gens à sa dévotion
Déterminés, et qu'il n'était empire
Plus redouté que le sien ici-bas.
Or ai-je été prolixe sur ce cas,
Pour confirmer l'histoire de Féronde.
Féronde était un sot de par le monde
Riche manant, ayant soin du tracas,
Dîmes, et cens, revenus, et ménage
D'un abbé blanc . J'en sais de ce plumage
Qui valent bien les noirs à mon avis,
En fait que d'être aux maris secourables,
Quand forte tâche ils ont en leur logis
Si qu'il y faut moines et gens capables.
Au lendemain celui-ci ne songeait
Et tout son fait dès la veille mangeait,
Sans rien garder, non plus qu'un droit apôtre,
N'ayant autre oeuvre, autre emploi, penser autre
Que de chercher ou gisaient les bons vins.
Les bons morceaux, et les bonnes commères,
Sans oublier les gaillardes nonnains,
Dont il faisait peu de part à ses frères.
Féronde avait un joli chaperon
Dans son logis, femme sienne, et dit-on
Que parentèle était entre la dame
Et notre abbé ; car son prédécesseur,
Oncle et parrain, dont Dieu veuille avoir l'âme,
En était père, et la donna pour femme
A ce manant, qui tint à grand honneur
De l'épouser. Chacun sait que de race
Communément fille bâtarde chasse :
Celle-ci donc ne fit mentir le mot.
Si n'était pas l'époux homme si sot
Qu'il n'en eût doute, et ne vît en l'affaire
Un peu plus clair qu'il n'était nécessaire.
Sa femme allait toujours chez le prélat ;
Et prétextait ses allées et venues
Des soins divers de cet économat.
Elle alléguait mille affaires menues.
C'était un compte, ou c'était un achat ;
C'était un rien ; tant peu plaignait sa peine.
Bref il n'était nul jour en la semaine,
Nulle heure au jour, qu'on ne vît en ce lieu
La receveuse. Alors le père en Dieu
Ne manquait pas d'écarter tout son monde
Mais le mari, qui se doutait du tour
Rompait les chiens, ne manquant au retour
D'imposer mains sur madame Féronde.
Onc il ne fut un moins commode époux.
Esprits ruraux volontiers sont jaloux,
Et sur ce point à chausser difficiles,
N'étant pas faits aux coutumes des villes.
Monsieur l'abbé trouvait cela bien dur
Comme prélat qu'il était, partant homme
Fuyant la peine, aimant le plaisir pur,
Ainsi que fait tout bon suppôt de Rome.
Ce n'est mon goût ; je ne veux de plein saut
Prendre la ville, aimant mieux l'escalade ;
En amour da, non en guerre ; il ne faut
Prendre ceci pour guerrière bravade,
Ni m'enrôler là-dessus malgré moi.
Que l'autre usage ait la raison pour soi,
Je m'en rapporte, et reviens à l'histoire
Du receveur qu'on mit en purgatoire
Pour le guérir, et voici comme quoi.
Par le moyen d'une poudre endormante
L'abbé le plonge en un très long sommeil.
On le croit mort, on l'enterre, l'on chante :
Il est surpris de voir à son réveil
Autour de lui gens d'étrange manière ;
Car il était au large dans sa bière,
Et se pouvait lever de ce tombeau
Qui conduisait en un profond caveau.
D'abord la peur se saisit de notre homme
Qu'est-ce cela ? songe-t-il ? est-il mort ?
Serait-ce point quelque espèce de sort ?
Puis il demande aux gens comme on les nomme,
Ce qu'ils font là d'où vientque dans ce lieu
L'on le retient, et qu'a-t-il fait à Dieu ?
L'un d'eux lui dit : Console-toi, Féronde
Tu te verras citoyen du haut monde
Dans mille ans d'hui complets et bien comptés
Auparavant il faut d'aucuns pêchés
Te nettoyer en ce saint purgatoire.
Ton âme un jour plus blanche que l'ivoire
En sortira. L'ange consolateur
Donne à ces mots au pauvre receveur
Huit ou dix coups de forte discipline,
En lui disant : C'est ton humeur mutine,
Et trop jalouse, et déplaisant à Dieu
Qui te retient pour mille ans en ce lieu.
Le receveur s'étant frotté l'épaule
Fait un soupir : mille ans, c'est bien du temps
Vous noterez que l'ange était un drôle,
Un frère Jean novice de Léans .
Ses compagnons jouaient chacun un rôle
Pareil au sien dessous un feint habit.
Le receveur requiert pardon, et dit :
Las si jamais je rentre dans la vie,
Jamais soupçon ombrage et jalousie,
Ne rentreront dans mon maudit esprit.
Pourrais-je point obtenir cette grâce ?
On la lui fait espérer ; non sitôt :
Force est qu'un an dans ce séjour se passe,
Là cependant il aura ce qu'il faut
Pour sustenter son corps, rien davantage
Quelque grabat, du pain pour tout potage,
Vingt coups de fouet chaque jour, si l'abbé
Comme prélat rempli de charité
N'obtient du Ciel qu'au moins on lui remette
Non le total des coups, mais quelque quart,
Voire moitié, voire la plus grand'part .
Douter ne faut qu'il ne s'en entremette,
A ce sujet disant mainte oraison.
L'ange en après lui fait un long sermon.
A tort, dit-il, tu conçus du soupçon.
Les gens d'église ont-ils de ces pensées ?
Un abbé blanc ! c'est trop d'ombrage avoir ;
Il n'écherrait que dix coups pour un noir .
Défais-toi donc de tes erreurs passées.
Il s'y résout. Qu'eût-il fait ? cependant
Sire prélat et Madame Féronde
Ne laissent perdre un seul petit moment.
Le mari dit : Que fait ma femme au monde ?
Ce qu'elle y fait ? tout bien ; notre prélat
L'a consolée, et ton économat
S'en va son train, toujours à l'ordinaire.
Dans le couvent toujours a-t-elle affaire ?
Où donc ? il faut qu'ayant seule à présent
Le faix entier sur soi la pauvre femme
Bon gré mal gré léans aille souvent,
Et plus encor que pendant ton vivant.
Un tel discours ne plaisait point a l'âme.
Ame j'ai cru le devoir appeler,
Ses pourvoyeurs ne le faisant manger
Ainsi qu'un corps. Un mois à cette épreuve
Se passe entier, lui jeûnant, et l'abbé
Multipliant oeuvres de charité,
Et mettant peine à consoler la veuve.
Tenez pour sûr qu'il y fit de son mieux.
Son soin ne fut longtemps infructueux :
Pas ne semait en une terre ingrate.
Pater abbas avec juste sujet
Appréhenda d'être père en effet.
Comme il n'est bon que telle chose éclate,
Et que le fait ne puisse être nié,
Tant et tant fut par sa Paternité
Dit d'oraisons, qu'on vit du purgatoire
L'âme sortir, légère, et n'ayant pas
Once de chair. Un si merveilleux cas
Surprit les gens. Beaucoup ne voulaient croire
Ce qu'ils voyaient. L'abbé passa pour saint.
L'époux pour sien le fruit posthume tint
Sans autrement de calcul oser faire.
Double miracle était en cette affaire
Et la grossesse, et le retour du mort.
On en chanta Te deum à renfort
Stérilité régnait en mariage
Pendant cet an, et même au voisinage
De l'abbaye, encor bien que léans
On se vouât pour obtenir enfants.
A tant laissons l'économe et sa femme ;
Et ne soit dit que nous autres époux
Nous méritions ce qu'on fit à cette âme
Pour la guérir de ses soupçons jaloux.

Le psautier

Nonnes souffrez pour la dernière fois
Qu'en ce recueil malgré moi je vous place.
De vos bons tours les contes ne sont froids.
Leur aventure a ne sais quelle grâce
Qui n'est ailleurs : ils emportent les voix.
Encore un donc, et puis c'en seront trois.
Trois ? je faux d'un ; c'en seront au moins quatre
Comptons-les bien. Mazet le compagnon ;
L'abbesse ayant besoin d'un bon garçon
Pour la guérir d'un mal opiniâtre ;
Ce conte-ci qui n'est le moins fripon ;
Quant a soeur Jeanne ayant fait un poupon,
Je ne tiens pas qu'il la faille rabattre.
Les voilà tous : quatre c'est compte rond.
Vous me direz : C'est une étrange affaire
Que nous ayons tant de part en ceci.
Que voulez-vous ? je n'y saurais que faire ;
Ce n'est pas moi qui le souhaite ainsi.
Si vous teniez toujours votre bréviaire,
Vous n'auriez rien à démêler ici.
Mais ce n'est pas votre plus grand souci.
Passons donc vite à la présente histoire.
Dans un couvent de nonnes fréquentait
Un jouvenceau friand comme on peut croire
De ces oiseaux. Telle pourtant prenait
Goût à le voir, et des yeux le couvait,
Lui souriait, faisait la complaisante,
Et se disait sa très humble servante,
Qui pour cela d'un seul point n'avançait.
Le conte dit que léans il n'était
Vieille ni jeune, à qui le personnage
Ne fit songer quelque chose à part soi.
Soupirs trottaient, bien voyait le pourquoi,
Sans qu'il s'en mît en peine davantage.
Soeur Isabeau seule pour son usage
Eut le galant : elle le méritait
Douce d'humeur, gentille de corsage,
Et n'en étant qu'à son apprentissage,
Belle de plus. Ainsi l'on l'enviait
Pour deux raisons ; son amant, et ses charmes.
Dans ses amours chacune l'épiait :
Nul bien sans mal, nul plaisir sans alarmes.
Tant et si bien l'épièrent les soeurs,
Qu'une nuit sombre, et propre à ces douceurs
Dont on confie aux ombres le mystère,
En sa cellule on ouït certains mots,
Certaine voix, enfin certains propos
Qui n'étaient pas sans doute en son bréviaire.
C'est le galant, ce dit-on, il est pris.
Et de courir ; l'alarme est aux esprits ;
L'essaim frémit, sentinelle se pose.
On va conter en triomphe la chose
A mère abbesse ; et heurtant à grands coups
On lui cria : Madame levez-vous ;
Soeur Isabelle a dans sa chambre un homme.
Vous noterez que Madame n'était
En oraison, ni ne prenait son somme :
Trop bien alors dans son lit elle avait
Messire Jean curé du voisinage.
Pour ne donner aux soeurs aucun ombrage,
Elle se lève, en hâte, étourdiment,
Cherche son voile, et malheureusement
Dessous sa main tombe du personnage
Le haut-de-chausse assez bien ressemblant
Pendant la nuit quand on n'est éclairée
A certain voile aux nonnes familier
Nommé pour lors entre elles leur psautier.
La voilà donc de grègues affublée.
Ayant sur soi ce nouveau couvre-chef,
Et s'étant fait raconter derechef
Tout le catus elle dit irritée :
Voyez un peu la petite effrontée,
Fille du diable, et qui nous gâtera
Notre couvent ; si Dieu plaît ne fera :
S'il plaît à Dieu bon ordre s'y mettra :
Vous la verrez tantôt bien chapitrée.
Chapitre donc, puisque chapitre y a,
Fut assemblé. Mère abbesse entourée
De son sénat fit venir Isabeau,
Qui s'arrosait de pleurs tout le visage,
Se souvenant qu'un maudit jouvenceau
Venait d'en faire un différent usage.
Quoi, dit l'abbesse, un homme dans ce lieu !
Un tel scandale en la maison de Dieu !
N'êtes-vous point morte de honte encore ?
Qui nous a fait recevoir parmi nous
Cette voirie ? Isabeau, savez-vous
(Car désormais qu'ici l'on vous honore
Du nom de soeur, ne le prétendez pas)
Savez-vous dis-je à quoi dans un tel cas
Notre institut condamne une méchante ?
Vous l'apprendrez devant qu'il soit demain.
Parlez parlez. Lors la pauvre nonnain,
Qui jusque-là confuse et repentante
N'osait branler, et la vue abaissoit
Lève les yeux, par bonheur aperçoit
Le haut-de-chausse, à quoi toute la bande
Par un effet d'émotion trop grande,
N'avoit pris garde, ainsi qu'on voit souvent.
Ce fut hasard qu'Isabelle à l'instant
S'en aperçût. Aussitôt la pauvrette
Reprend courage, et dit tout doucement :
Votre psautier a ne sais quoi qui pend ;
Raccommodez-le. Or c'était l'aiguillette,
Assez souvent pour bouton l'on s'en sert.
D'ailleurs ce voile avoit beaucoup de l'air
D'un haut-de-chausse : et la jeune nonnette,
Ayant l'idée encore fraîche des deux
Ne s'y méprit : non pas que le messire
Eût chausse faite ainsi qu'un amoureux :
Mais à peu près ; cela devait suffire.
L'abbesse dit : Elle ose encore rire !
Quelle insolence ! Un péché si honteux
Ne la rend pas plus humble et plus soumise !
Veut-elle point que l'on la canonise ?
Laissez mon voile esprit de Lucifer.
Songez songez, petit tison d'enfer,
Comme on pourra raccommoder votre âme.
Pas ne finit mère abbesse sa gamme
Sans sermonner et tempêter beaucoup.
Soeur Isabeau lui dit encore un Coup
Raccommodez votre psautier, Madame.
Tout le troupeau se met à regarder.
Jeunes de rire, et vieilles de gronder.
La voix manquant à notre sermonneuse,
Qui de son troc bien fâchée et honteuse,
N'eut pas le mot à dire en ce moment,
L'essaim fit voir par son bourdonnement,
Combien roulaient de diverses pensées
Dans les esprits. Enfin l'abbesse dit :
Devant qu'on eût tant de voix ramassées,
Il serait tard. Que chacune en son lit
S'aille remettre. A demain toute chose.
Le lendemain ne fut tenu, pour cause,
Aucun chapitre ; et le jour ensuivant
Tout aussi peu. Les sages du couvent
Furent d'avis que l'on se devait taire
Car trop d'éclat eût pu nuire au troupeau.
On n'en voulait à la pauvre Isabeau
Que par envie. Ainsi n'ayant pu faire
Qu'elle lâchât aux autres le morceau,
Chaque nonnain, faute de jouvenceau,
Songe à pourvoir d'ailleurs à son affaire.
Les vieux amis reviennent de plus beau.
Par préciput à notre belle on laisse
Le jeune fils ; le pasteur à l'abbesse ;
Et l'union alla jusques au point
Qu'on en prêtait à qui n'en avait point.

Le roi Candaule, et le maître en droit

Force gens ont été l'instrument de leur mal ;
Candaule en est un témoignage.
Ce roi fut en sottise un très grand personnage.
Il fit pour Gygès son vassal
Une galanterie imprudente et peu sage.
Vous voyez, lui dit-il, le visage charmant,
Et les traits délicats dont la reine est pourvue
Je vous jure ma foi que l'accompagnement
Est d'un tout autre prix et passe infiniment ;
Ce n'est rien qui ne l'a vue
Toute nue.
Je vous la veux montrer sans qu'elle en sache rien ;
Car j'en sais un très bon moyen :
Mais à condition, vous m'entendez fort bien,
Sans que j'en dise davantage
Gygès, il vous faut être sage :
Point de ridicule désir :
Je ne prendrais pas de plaisir
Aux voeux impertinents qu'une amour sotte et vaine
Vous ferait faire pour la reine.
Proposez-vous de voir tout ce corps si charmant,
Comme un beau marbre seulement.
Je veux que vous disiez que l'art, que la pensée,
Que même le souhait ne peut aller plus loin.
Dedans le bain je l'ai laissée :
Vous êtes connaisseur, venez être témoin
De ma félicite suprême.
Ils vont. Gygès admire. Admirer ; c'est trop peu.
Son étonnement est extrême.
Ce doux objet joua son jeu.
Gygès en fut ému, quelque effort qu'il pût faire.
Il aurait voulu se taire,
Et ne point témoigner ce qu'il avait senti :
Mais son silence eût fait soupçonner du mystère.
L'exagération fut le meilleur parti.
Il s'en tint donc pour averti ;
Et sans faire le fin, le froid, ni le modeste,
Chaque point, chaque article eut son fait, fut loué.
Dieux, disait-il au roi, quelle félicité !
Le beau corps ! le beau cuir ! O Ciel ! et tout le reste
De ce gaillard entretien
La reine n'entendit rien ;
Elle l'eût pris pour outrage :
Car en ce siècle ignorant
Le beau sexe était sauvage ;
Il ne l'est plus maintenant ;
Et des louanges pareilles
De nos dames d'à présent
N'écorchent point les oreilles.
Notre examinateur soupirait dans sa peau.
L'émotion croissait, tant tout lui semblait beau.
Le prince s'en doutant l'emmena ; mais son âme
Emporta cent traits de flamme.
Chaque endroit lança le sien.
Hélas, fuir n'y sert de rien :
Tourments d'amour font si bien
Qu'ils sont toujours de la suite.
Près du prince Gygès eut assez de conduite
Mais de sa passion la reine s'aperçut :
Elle sut
L'origine du mal ; le roi prétendant rire
S'avisa de tout lui dire.
Ignorant ! savait-il point
Qu'une reine sur ce point
N'ose entendre raillerie ?
Et suppose qu'en son coeur
Cela lui plaise, elle rie,
Il lui faut pour son honneur
Contrefaire la furie.
Celle-ci fut vraiment,
Et réserva dans soi-même,
De quelque vengeance extrême
Le désir très véhément.
Je voudrais pour un moment,
Lecteur, que tu fusses femme :
Tu ne saurais autrement
Concevoir jusqu'où la dame
Porta son secret dépit.
Un mortel eut le crédit
De voir de si belles choses,
A tous mortels lettres closes !
Tels dons étaient pour des dieux,
Pour des rois, voulais-je dire ;
L'un et l'autre y vient de cire,
Je ne sais quel est le mieux.
Ces pensers incitaient la reine à la vengeance.
Honte, dépit, courroux, son coeur employa tout.
Amour même, dit-on, fut de l'intelligence :
De quoi ne vient-il point à bout ?
Gygès était bien fait ; on l'excusa sans peine :
Sur le montreur d'appas tomba toute la haine.
Il était mari ; c'est son mal ;
Et les gens de ce caractère
Ne sauraient en aucune affaire
Commettre de pêché qui ne soit capital.
Qu'est-il besoin d'user d'un plus ample prologue ?
Voilà le roi haï, voilà Gygès aimé,
Voilà tout fait, et tout formé
Un époux du grand catalogue ;
Dignité peu briguée, et qui fleurit pourtant.
La sottise du prince était d'un tel mérite,
Qu'il fut fait in petto confrère de Vulcan ;
De là jusqu'au bonnet la distance est petite.
Cela n'était que bien ; mais la Parque maudite
Fut aussi de l'intrigue ; et sans perdre de temps
Le pauvre roi par nos amants
Fut député vers le Cocyte.
On le fit trop boire d'un coup :
Quelquefois, hélas ! c'est beaucoup.
Bientôt un certain breuvage
Lui fit voir le noir rivage,
Tandis qu'aux yeux de Gygès
S'étalaient de blancs objets :
Car fût-ce amour, fût-ce rage,
Bientôt la reine le mit
Sur le trône et dans son lit.
Mon dessein n'était pas d'étendre cette histoire :
On la savait assez ; mais je me sais bon gré ;
Car l'exemple a très bien cadré :
Mon texte y va tout droit : même j'ai peine à croire
Que le docteur en lois dont je vais discourir
Puisse mieux que Candaule à mon but concourir.
Rome pour ce coup-ci me fournira la scène :
Rome, non celle-là que les moeurs du vieux temps
Rendaient triste, sévère, incommode aux galants,
Et de sottes femelles pleine ;
Mais Rome d'aujourd'hui, séjour charmant et beau,
Où l'on suit un train plus nouveau.
Le plaisir est la seule affaire
Dont se piquent ses habitants.
Qui n'aurait que vingt ou trente ans,
Ce serait un voyage à faire.
Rome donc eut naguère un maître dans cet art
Qui du tien et du mien tire son origine ;
Homme qui hors de là faisait le goguenard ;
Tout passait par son étamine :
Aux dépens du tiers et du quart
Il se divertissait. Avint que le légiste,
Parmi ses écoliers dont il avait toujours
Longue liste,
Eut un Français moins propre à faire en droit un cours
Qu'en amours.
Le docteur un beau jour le voyant sombre et triste,
Lui dit : Notre féal, vous voilà de relais ;
Car vous avez la mine, étant hors de l'école,
De ne lire jamais Bartole.
Que ne vous poussez-vous ? un Français etre ainsi
Sans intrigue et sans amourettes !
Vous avez des talents, nous avons des coquettes,
Non pas pour une Dieu merci.
L'étudiant reprit : Je suis nouveau dans Rome.
Et puis, hors les beautés qui font plaisir aux gens
Pour la somme
Je ne vois pas que les galants
Trouvent ici beaucoup à faire.
Toute maison est monastère :
Double porte, verrous, une matrone austère
Un mari, des Argus. Qu'irais-je à votre avis
Chercher en de pareils logis ?
Prendre la lune aux dents serait moins difficile.
Ha, ha, la lune aux dents, repartit le docteur
Vous nous faites beaucoup d'honneur.
J'ai pitié des gens neufs comme vous ; notre ville
Ne vous est pas connue en tant que je puis voir.
Vous croyez donc qu'il faille avoir
Beaucoup de peine à Rome en fait que d'aventures ?
Sachez que nous avons ici des créatures,
Qui ferons leurs maris cocus
Sur la moustache des Argus.
La chose est chez nous très commune :
Témoignez seulement que vous cherchez fortune
Placez-vous dans l'église auprès du bénitier.
Présentez sur le doigt aux dames l'eau sacrée.
C'est d'amourettes les prier.
Si l'air du suppliant à quelque dame agrée,
Celle-la sachant son métier,
Vous envoyra faire un message.
Vous serez déterré, logeassiez-vous en lieu
Qui ne fût connu que de Dieu.
Une vieille viendra, qui faite au badinage
Vous saura ménager un secret entretien.
Ne vous embarrassez de rien.
De rien ? c'est un peu trop ; j'excepte quelque chose :
II est bon de vous dire en passant, notre ami,
Qu'à Rome il faut agir en galant et demi.
En France on peut conter des fleurettes, I'on cause ;
Ici tous les moments sont chers et précieux.
Romaines vont au but. L'autre reprit : Tant mieux.
Sans être gascon, je puis dire
Que je suis un merveilleux sire.
Peut-être ne l'était-il point ;
Tout homme est gascon sur ce point.
Les avis du docteur furent bons ; le jeune homme ;
Se campe en une église où venat tous les jours
La fleur et l'élite de Rome,
Des Grâces, des Vénus, avec un grand concours
D'Amours,
C'est-à-dire en chrétien beaucoup d'anges femelles.
Sous leurs voiles brillaient des yeux pleins d'étincelles.
Bénitiers, le lieu saint n'était pas sans cela.
Notre homme en choisit un chanceux pour ce point
A chaque objet qui passe adoucit ses prunelles .
Révérences, le drôle en faisait des plus belles,
Des plus dévotes : cependant
II offrait l'eau lustrale. Un ange entre les autres
En prit de bonne grâce : alors l'étudiant
Dit en son coeur : elle est des nôtres.
II retourne au logis ; vieille vient ; rendez-vous.
D'en conter le détail, vous vous en doutez tous.
Il s'y fit nombre de folies ;
La dame était des plus jolies,
Le passe-temps fut des plus doux.
Il le conte au docteur. Discrétion françoise
Est chose outre nature, et d'un trop grand effort.
Dissimuler un tel transport ;
Cela sent son humeur bourgeoise.
Du fruit de ses conseils le docteur s'applaudit,
Rit en jurisconsulte, et des maris se raille.
Pauvres gens, qui n'ont pas l'esprit
De garder du loup leur ouaille !
Un berger en a cent ; des hommes ne sauront
Garder la seule qu'ils auront !
Bien lui semblait ce soin chose un peu malaisée
Mais non pas impossible ; et sans qu'il eût cent yeux
Il défiait grâces aux Cieux
Sa femme encor que très rusée.
A ces discours, ami lecteur,
Vous ne croiriez jamais sans avoir quelque honte
Que l'héroïne de ce conte
Fût propre femme du docteur.
Elle l'était pourtant. Le pis fut que mon homme,
En s'informant de tout, et des si et des ças,
Et comme elle était faite, et quels secrets appas,
Vit que c'était sa femme en somme.
Un seul point l'arrêtait ; c'était certain talent
Qu'avait en sa moitié trouve l'étudiant,
Et que pour le mari n'avait pas la donzelle.
A ce signe ce n'est pas elle
Disait en soi le pauvre époux
Mais les autres points y sont tous ;
C'est elle. Mais ma femme au logis est rêveuse
Et celle-ci paraît causeuse
Et d'un agréable entretien :
Assurément c'en est une autre.
Mais du reste il n'y manque rien
Taille, visage, traits, même poil ; c'est la nôtre.
Après avoir bien dit tout bas
Ce n'est, et puis ce ne l'est pas
Force fut qu'au premier en demeurât le sire.
Je laisse à penser son courroux,
Sa fureur afin de mieux dire.
Vous vous êtes donnés un second rendez-vous ?
Poursuivit-il. Oui ; reprit notre apôtre,
Elle et moi n'avons eu garde de l'oublier,
Nous trouvant trop bien du premier,
Pour n'en pas ménager un autre ;
Très résolus tous deux de ne nous rien devoir.
La résolution, dit le docteur, est belle.
Je saurais volontiers quelle est cette donzelle.
L'écolier repartit : Je ne l'ai pu savoir.
Mais qu'importe ? il suffit que je sois content d'elle
Dès à présent je vous réponds
Que l'époux de la dame à toutes ses façons
Si quelqu'une manquait, nous la lui donnerons
Demain en tel endroit, à telle heure, sans faute.
On doit m'attendre entre deux draps,
Champ de bataille propre à de pareils combats.
Le rendez-vous n'est point dans une chambre haute .
Le logis est propre et paré.
On m'a fait à l'abord traverser un passage
Où jamais le jour n'est entré ;
Mais aussitôt après la vieille du message
M'a conduit en des lieux où loge en bonne foi
Tout ce qu'amour a de délices ;
On peut s'en rapporter à moi.
A ce discours jugez quels étaient les supplices
Qu'endurait le docteur. II forme le dessein
De s'en aller le lendemain
Au lieu de l'écolier ; et sous ce personnage
Convaincre sa moitié, lui faire un vasselage
Dont il fût à jamais parlé.
N'en déplaise au nouveau confrère,
Il n'était pas bien conseillé :
Mieux valait pour le coup se taire :
Sauf d'apporter en temps et lieu
Remède au cas, moyennant Dieu.
Quand les épouses font un récipiendaire
Au benoît état de cocu,
S'il en peut sortir franc, c'est à lui beaucoup faire ;
Mais quand il est déjà reçu,
Une facon de plus ne fait rien à l'affaire.
Le docteur raisonna d'autre sorte, et fit tant
Qu'il ne fit rien qui vaille. Il crut qu'en prévenant
Son parrain en cocuage,
Il ferait tour d'homme sage :
Son parrain, cela s'entend,
Pourvu que sous ce galant
Il eût fait apprentissage ;
Chose dont à bon droit le lecteur peut douter.
Quoi qu'il en soit, l'époux ne manque pas d'aller
Au logis de l'aventure,
Croyant que l'allée obscure,
Son silence, et le soin de se cacher le nez,
Sans qu'il fût reconnu le feraient introduire
En ces lieux si fortunés :
Mais par malheur la vieille avait pour se conduire
Une lanterne sourde ; et plus fine cent fois
Que le plus fin docteur en lois,
Elle reconnut l'homme, et sans être surprise
Elle lui dit :
Attendez là
Je vais trouver Madame Elise
II la faut avertir ; je n'ose sans cela
Vous mener dans sa chambre : et puis vous devez être
En autre habit pour l'aller voir :
C'est-à-dire en un mot qu'il n'en faut point avoir
Madame attend au lit. A ces mots notre maître
Poussé dans quelque bouge y voit d'abord paraître
Tout un déshabillé ; des mules, un peignoir
Bonnet, robe de chambre, avec chemise d'homme
Parfums sur la toilette, et des meilleurs de Rome :
Le tout propre, arrangé, de même qu'on eût fait
Si l'on eût attendu le Cardinal préfet.
Le docteur se dépouille ; et cette gouvernante
Revient, et par la main le conduit en des lieux
Où notre homme privé de l'usage des yeux
Va d'une façon chancelante
Après ces détours ténébreux,
La vieille ouvre une porte, et vous pousse le sire
En un fort mal plaisant endroit,
Quoique ce fut son propre empire ;
C'était en l'école de droit.
En l'école de droit ! la même ; le pauvre homme
Honteux, surpris, confus, non sans quelque raison,
Pensa tomber en pâmoison.
Le conte en courut par tout Rome.
Les écoliers alors attendaient leur régent.
Cela seul acheva sa mauvaise fortune.
Grand éclat de risée, et grand chuchillement,
Universel étonnement.
Est-il fou ? qu'est-ce là ? vient-il de voir quelqu'une ?
Ce ne fut pas le tout ; sa femme se plaignit.
Procès. La parente se joint en cause, et dit :
Que du docteur venait tout le mauvais ménage ;
Que cet homme était fou, que sa femme était sage.
On fit casser le mariage ;
Et puis la dame se rendit
Belle et bonne religieuse
A Saint-Croissant en Vavoureuse .
Un prélat lui donna l'habit.

Le Diable en Enfer

Qui craint d'aimer, a tort selon mon sens
S'il ne fuit pas dès qu'il voit une belle.
Je vous connais objets doux et puissants :
Plus ne m'irai brûler à la chandelle.
Une vertu sort de vous ne sais quelle,
Qui dans le coeur s'introduit par les yeux.
Ce qu'elle y fait, besoin n'est de le dire :
On meurt d'amour, on languit, on soupire .
Pas ne tiendrait aux gens qu'on ne fit mieux.
A tels périls ne faut qu'on s'abandonne.
J'en vais donner pour preuve une personne
Dont la beauté fit trébucher Rustic.
Il en avint un fort plaisant trafic :
Plaisant fut-il, au pêché près, sans faute :
Car pour ce point, je l'excepte et je l'ôte :
Et ne suis pas du goût de celle-là !
Qui buvant frais (ce fut je pense à Rome)
Disait : Que n'est-ce un pêché que cela !
Je la condamne ; et veux prouver en somme
Qu'il fait bon craindre encor que l'on soit saint.
Rien n'est plus vrai. Si Rustic avait craint,
Il n'aurait pas retenu cette fille,
Qui jeune et simple et pourtant très gentille
Jusques au vif vous l'eut bientôt atteint.
Alibech fut son nom, si j'ai mémoire
Fille un peu neuve, à ce que dit l'histoire.
Lisant un jour comme quoi certains saints,
Pour mieux vaquer à leurs pieux desseins
Se séquestraient ; vivaient comme des anges,
Qui ça et là, portant toujours leurs pas
En lieux cachés ; choses qui bien qu'étranges
Pour Alibech avaient quelques appas :
Mon Dieu, dit-elle, il me prend une envie
D'aller mener une semblable vie.
Alibech donc s'en va sans dire adieu.
Mère ni soeur, nourrice ni compagne
N'est avertie. Alibech en campagne
Marche toujours, n'arrête en pas un lieu.
Tant court enfin qu'elle entre en un bois sombre
Et dans ce bois elle trouve un vieillard ;
Homme possible autrefois plus gaillard,
Mais n'étant lors qu'un squelette et qu'une ombre
Père, dit-elle, un mouvement m'a pris ;
C'est d'être sainte, et mériter pour prix
Qu'on me révère, et qu'on chomme ma fête.
O quel plaisir j'aurais si tous les ans,
La palme en main, les rayons sur la tête,
Je recevais des fleurs et des présents !
Votre métier est-il si difficile ?
Je sais déjà jeûner plus qu'à demi.
Abandonnez ce penser inutile,
Dit le vieillard, je vous parle en ami.
La sainteté n'est chose si commune
Que le jeûner suffise pour l'avoir.
Dieu gard de mal fille et femme qui jeûne
Sans pour cela guère mieux en valoir.
Il faut encor pratiquer d'autres choses,
D'autres vertus qui me sont lettres closes,
Et qu'un ermite habitant de ces bois
Vous apprendra mieux que moi mille fois.
Allez le voir, ne tardez davantage :
Je ne retiens tels oiseaux dans ma cage.
Disant ces mots le vieillard la quitta,
Ferma sa porte, et se barricada.
Très sage fut d'agir ainsi sans doute,
Ne se fiant à vieillesse ni goutte,
Jeune ni haire, enfin à rien qui soit.
Non loin de là notre sainte aperçoit
Celui de qui ce bon vieillard parloit ;
Homme ayant l'âme en Dieu tout occupée,
Et se faisant tout blanc de son épée " ; .
C'était Rustic, jeune saint très fervent :
Ces jeunes-là s'y trompent bien souvent.
En peu de mots l'appétit d'être sainte
Lui fut d'abord par la belle explique ;
Appétit tel qu'Alibech avait crainte
Que quelque jour son fruit n'en fut marqué.
Rustic sourit d'une telle innocence.
Je n'ai, dit-il, que peu de connaissance
En ce métier ; mais ce peu-là que j'ai
Bien volontiers vous sera partagé.
Nous vous rendrons la chose familière.
Maître Rustic eût dû donner congé
Tout dès l'abord à semblable écolière.
Il ne le fit ; en voici les effets.
Comme il voulait être des plus parfaits,
Il dit en soi : Rustic, que sais-tu faire ?
Veiller, prier, jeûner, porter la haire ?
Qu'est-ce cela ? moins que rien ; tous le font :
Mais d'être seul auprès de quelque belle
Sans la toucher, il n'est victoire telle ;
Triomphes grands chez les anges en sont
Méritons-les ; retenons cette fille.
Si je résiste à chose si gentille,
J'atteins le comble, et me tire du pair .
Il la retint- et fut si téméraire,
Qu'outre Satan il défia la chair,
Deux ennemis toujours prêts à mal faire ;
Or sont nos saints logés sous même toit
Rustic apprête en un petit endroit
Un petit lit de jonc pour la novice.
Car de coucher sur la dure d'abord,
Quelle apparence ? elle n'était encor
Accoutumée à si rude exercice.
Quant au souper, elle eut pour tout service
Un peu de fruit, du pain non pas trop beau.
Faites état que la magnificence
De ce repas ne consista qu'en l'eau,
Claire, d'argent, belle par excellence.
Rustic jeûna ; la fille eut appétit.
Couchés à part, Alibech s'endormit :
L'ermite non. Une certaine bête
Diable nommée, un vrai serpent maudit,
N'eut point de paix qu'il ne fût de la fête.
On l'y reçoit ; Rustic roule en sa tête,
Tantôt les traits de la jeune beauté,
Tantôt sa grâce, et sa naïveté,
Et ses façons, et sa manière douce,
L'âge, la taille, et surtout l'embonpoint,
Et certain sein ne se reposant point ;
Allant, venant ; sein qui pousse et repousse
Certain corset en dépit d'Alibech,
Qui tâche en vain de lui clore le bec :
Car toujours parle : il va, vient, et respire :
C'est son patois ; Dieu sait ce qu'il veut dire.
Le pauvre ermite ému de passion
Fit de ce point sa méditation.
Adieu la haire, adieu la discipline ;
Et puis voilà de ma dévotion ;
Voilà mes saints. Celui-ci s'achemine
Vers Alibech ; et l'éveille en sursaut.
Ce n'est bien fait que de dormit sitôt
Dit le frater ; il faut au préalable
Qu'on fasse une oeuvre à Dieu fort agréable.
Emprisonnant en enfer le Malin.
Crée ne fut pour aucune autre fin.
Procédons-y. Tout à l'heure il se glisse
Dedans le lit. Alibech sans malice,
N'entendait rien à ce mystère-là :
Et ne sachant ni ceci ni cela,
Moitié forcée et moitié consentante,
Moitié voulant combattre ce désir,
Moitié n'osant, moitié peine et plaisir,
Elle crut faire acte de repentante ;
Bien humblement rendit grâce au frater,
Sut ce que c'est que le diable en enfer.
Désormais faut qu'Alibech se contente
D'être martyre, en cas que sainte soit :
Frère Rustic peu de vierges faisoit.
Cette leçon ne fut la plus aisée.
Dont Alibech non encor déniaisée
Dit : Il faut bien que le diable en effet
Soit une chose étrange et bien mauvaise :
Il brise tout ; voyez le mal qu'il fait
A sa prison : non pas qu'il m'en déplaise :
Mais il mérite en bonne vérité
D'y retourner. Soit fait, ce dit le frère.
Tant s'appliqua Rustic à ce mystère,
Tant prit de soin, tant eut de charité
Qu'enfin l'enfer s'accoutumant au diable
Eût eu toujours sa présence agréable
Si l'autre eût pu toujours en faire essai.
Sur quoi la belle : On dit encor bien vrai
Qu'il n'est prison si douce que son hôte
En peu de temps ne s'y lasse sans faute.
Bientôt nos gens ont noise sur ce point.
En vain l'enfer son prisonnier rappelle
Le diable est sourd, le diable n'entend point.
L'enfer s'ennuie ; autant en fait la belle.
Ce grand désir d'être sainte s'en va.
Rustic voudrait être dépêtré d'elle.
Elle pourvoit d'elle-même à cela.
Furtivement elle quitte le sire :
Par le plus court s'en retourne chez soi.
Je suis en soin de ce qu'elle put dire
A ses parents : c'est ce qu'en bonne foi
Jusqu'à présent je n'ai bien su comprendre.
Apparemment elle leur fit entendre
Que son coeur mû d'un appétit d'enfant
L'avait portée à tacher d'être sainte.
Ou l'on la crut, ou l'on en fit semblant.
Sa parenté prit pour argent comptant
Un tel motif : non que de quelque atteinte
A son enfer on n'eût quelque soupçon :
Mais cette chartre est faite de façon
Qu'on n'y voit goutte ; et maint geôlier s'y trompe.
Alibech fut festinée en grand'pompe.
L'histoire dit que par simplicité
Elle conta la chose à ses compagnes.
Besoin n'était que Votre Sainteté,
Ce lui dit-on, traversât ces campagnes.
On vous aurait, sans bouger du logis,
Même leçon même secret appris.
Je vous aurais, dit l'une, offert mon frère.
Vous auriez eu, dit l'autre, mon cousin :
Et Néherbal notre prochain voisin
N'est pas non plus novice en ce mystère.
Il vous recherche ; acceptez ce parti,
Devant qu'on soit d'un tel cas averti.
Elle le fit : Néherbal n'était homme
A cela près. On donna telle somme,
Qu'avec les traits de la jeune Alibech
Il prit pour bon un enfer très suspect ;
Usant des biens que l'Hymen nous envoie.
A tous époux Dieu doint pareille joie ;
Ne plus ne moins qu'employait au désert
Rustic son diable, Alibech son enfer.

La Jument du Compère Pierre

Messire Jean, (c'était certain curé
Qui prêchait peu sinon sur la vendange)
Sur ce sujet, sans être préparé,
Il triomphait ; vous eussiez dit un ange,
Encore un point était touché de lui ;
Non si souvent qu'eût voulu le messire ;
Et ce point-là les enfants d'aujourd'hui
Savent que c'est, besoin n'ai de le dire.
Messire Jean tel que je le décris
Faisait si bien, que femmes et maris
Le recherchaient, estimaient sa science ;
Au demeurant il n'était conscience
Un peu jolie, et bonne à diriger,
Qu'il ne voulût lui-même interroger,
Ne s'en fiant aux soins de son vicaire.
Messire Jean aurait voulu tout faire ;
S'entremettait en zélé directeur
Allait partout ; disant qu'un bon pasteur
Ne peut trop bien ses ouailles connaître,
Dont par lui-même instruit en voulait être.
Parmi les gens de lui les mieux venus,
Il fréquentait chez le compère Pierre,
Bon villageois à qui pour toute terre,
Pour tout domaine et pour tous revenus
Dieu ne donna que ses deux bras tout nus,
Et son louchet, dont pour toute ustensille
Pierre faisait subsister sa famille.
Il avait femme et belle et jeune encor,
Ferme surtout ; le hâle avait fait tort
A son visage, et non à sa personne.
Nous autres gens peut-être aurions voulu
Du délicat, ce rustic ne m'eût plu ;
Pour des curés la pâte en était bonne ;
Et convenait à semblables amours.
Messire Jean la regardait toujours
Du coin de l'oeil, toujours tournait la tête
De son côté ; comme un chien qui fait fête
Aux os qu'il voit n'être par trop chétifs ;
Que s'il en voit un de belle apparence,
Non décharné, plein encor de substance,
Il tient dessus ses regards attentifs :
Il s'inquiète, il trépigne, il remue
Oreille et queue ; il a toujours la vue
Dessus cet os, et le ronge des yeux
Vingt fois devant que son palais s'en sente .
Messire Jean tout ainsi se tourmente
A cet objet pour lui délicieux.
La villageoise était fort innocente.
Et n'entendait aux façons du pasteur
Mystère aucun ; ni son regard flatteur,
Ni ses présents ne touchaient Magdeleine :
Bouquets de thym, et pots de marjolaine
Tombaient à terre : avoir cent menus soins
C'était parler bas-breton tout au moins.
Il s'avisa d'un plaisant stratagème.
Pierre était lourd, sans esprit : je crois bien
Qu'il ne se fût précipité lui-même,
Mais par delà de lui demander rien,
C'était abus et très grande sottise.
L'autre lui dit : Compère mon ami
Te voilà pauvre, et n'ayant à demi
Ce qu'il te faut ; si je t'apprends la guise
Et le moyen d'être un jour plus content
Qu'un petit roi, sans te tourmenter tant,
Que me veux-tu donner pour mes étrennes ?
Pierre répond : Parbleu Messire Jean
Je suis à vous ; disposez de mes peines ;
Car vous savez que c'est tout mon vaillant.
Notre cochon ne nous faudra pourtant :
II a mange plus de son, par mon âme,
Qu'il n'en tiendrait trois fois dans ce tonneau,
Et d'abondant la vache à notre femme
Nous a promis qu'elle ferait un veau :
Prenez le tout. Je ne veux nul salaire,
Dit le pasteur ; obliger mon compère
Ce m'est assez, je te dirai comment.
Mon dessein est de rendre Magdeleine
Jument le jour par art d'enchantement,
Lui redonnant sur le soir forme humaine.
Très grand profit pourra certainement
T'en revenir ; car ton âne est si lent,
Que du marché l'heure est presque passée
Quand il arrive ; ainsi tu ne vends pas,
Comme tu veux, tes herbes, ta denrée,
Tes choux, tes aulx, enfin tout ton tracas.
Ta femme étant jument forte et membrue,
Ira plus vite ; et sitôt que chez toi
Elle sera du logis revenue,
Sans pain ni soupe un peu d'herbe menue
Lui suffira. Pierre dit : Sur ma foi
Messire Jean, vous êtes un sage homme.
Voyez que c'est d'avoir étudié !
Vend-on cela ? si j'avais grosse somme
Je vous l'aurais, parbleu bientôt payé.
Jean poursuivit : Or ça je t'apprendrai
Les mots, la guise, et toute la manière
Par ou jument bien faite et poulinière
Auras de jour, belle femme de nuit.
Corps, tête, jambe, et tout ce qui s'ensuit
Lui reviendra : tu n'as qu'a me voir faire
Tais-toi sur tout ; car un mot seulement
Nous gâterait tout notre enchantement.
Nous ne pourrions revenir au mystère,
De notre vie ; encore un coup motus,
Bouche cousue, ouvre les yeux sans plus .
Toi-même après pratiqueras la chose.
Pierre promet de se taire, et Jean dit :
Sus Magdeleine ; il se faut, et pour cause,
Dépouiller nue et quitter cet habit :
Dégrafez-moi cet atour des dimanches ;
Fort bien : ôtez ce corset et ces manches ;
Encore mieux : défaites ce jupon ;
Très bien cela. Quand vint à la chemise,
La pauvre épouse eut en quelque façon
De la pudeur. Etre nue ainsi mise
Aux yeux des gens ! Magdeleine aimait mieux
Demeurer femme, et jurait ses grands dieux
De ne souffrir une telle vergogne.
Pierre lui dit : Voilà grande besogne !
Et bien, tous deux nous saurons comme quoi
Vous êtes faite ; est-ce par votre foi
De quoi tant craindre ? et là là Magdeleine,
Vous n'avez pas toujours eu tant de peine
A tout ôter : comment donc faites-vous
Quand vous cherchez vos puces ? dites-nous.
Messire Jean est-ce quelqu'un d'étrange ?
Que craignez-vous ? hé quoi ? qu'il ne vous mange ?
Cà dépêchons ; c'est par trop marchander.
Depuis le temps Monsieur notre curé
Aurait déjà parfait son entreprise.
Disant ces mots il ôte la chemise,
Regarde faire, et ses lunettes prend.
Messire Jean par le nombril commence,
Pose dessus une main en disant :
Que ceci soit beau poitrail de jument.
Puis cette main dans le pays s'avance.
L'autre s'en va transformer ces deux monts
Qu'en nos climats les gens nomment tétons ;
Car quant à ceux qui sur l'autre hémisphère
Sont étendus, plus vastes en leur tour,
Par révérence on ne les nomme guère ;
Messire Jean leur fait aussi sa cour ;
Disant toujours pour la cérémonie :
Que ceci soit telle ou telle partie,
Ou belle croupe, ou beaux flancs, tout enfin.
Tant de façons mettaient Pierre en chagrin ;
Et ne voyant nul progrès à la chose,
Il priait Dieu pour la métamorphose.
C'était en vain ; car de l'enchantement
Toute la force et l'accomplissement
Gisait à mettre une queue à la bête :
Tel ornement est chose fort honnête :
Jean ne voulant un tel point oublier
L'attache donc : lors Pierre de crier,
Si haut qu'on l'eût entendu d'une lieue :
Messire Jean je n'y veux point de queue :
Vous l'attachez trop bas, Messire Jean.
Pierre à crier ne fut si diligent,
Que bonne part de la cérémonie
Ne fut déjà par le prêtre accomplie.
A bonne fin le reste aurait été,
Si non content d'avoir déjà parlé
Pierre encor n'eût tiré par la soutane
Le curé Jean, qui lui dit : Foin de toi :
T'avais-je pas recommandé, gros âne,
De ne rien dire, et de demeurer coi ?
Tout est gâté ; ne t'en prends qu'a toi-même.
Pendant ces mots l'époux gronde à part soi.
Magdeleine est en un courroux extrême
Querelle Pierre, et lui dit : Malheureux
Tu ne seras qu'un misérable gueux
Toute ta vie : et puis viens-t'en me braire
Viens me conter ta faim et ta douleur.
Voyez un peu : Monsieur notre pasteur
Veut de sa grâce a ce traîne-malheur
Montrer de quoi finir notre misère :
Mérite-t-il le bien qu'on lui veut faire ?
Messire Jean laissons la cet oison :
Tous les matins tandis que ce veau lie
Ses choux, ses aulx, ses herbes, son oignon,
Sans l'avertir venez à la maison ;
Vous me rendrez une jument polie.
Pierre reprit : Plus de jument, ma mie,
Je suis content de n'avoir qu'un grison.

Pâté d'Anguille

Même beauté, tant soit exquise,
Rassasie et soule à la fin.
Il me faut d'un et d'autre pain ;
Diversité c'est ma devise.
Cette maîtresse un tantet bise
Rit à mes yeux ; pourquoi cela ?
C'est qu'elle est neuve ; et celle-là
Qui depuis longtemps m'est acquise
Blanche qu'elle est, en nulle guise
Ne me cause d'émotion.
Son coeur dit oui ; le mien dit non ;
D'où vient ? en voici la raison,
Diversité c'est ma devise.
Je l'ai jà dit d'autre façon
Car il est bon que l'on déguise
Suivant la loi de ce dicton,
Diversité c'est ma devise.
Ce fut celle aussi d'un mari
De qui la femme était fort belle.
Il se trouva bientôt guéri
De l'amour qu'il avait pour elle.
L'hymen, et la possession
Eteignirent sa passion.
Un sien valet avait pour femme
Un petit bec assez mignon :
Le maître étant bon compagnon,
Eut bientôt empaumé la dame.
Cela ne plut pas au valet,
Qui les ayant pris sur le fait,
Vendiqua son bien de couchette,
A sa moitié chanta goguette,
L'appela tout net et tout franc. . .
Bien sot de faire un bruit si grand
Pour une chose si commune ;
Dieu nous gard de plus grand'fortune.
Il fit à son maître un sermon.
Monsieur, dit-il, chacun la sienne
Ce n'est pas trop ; Dieu et raison
Vous recommandent cette antienne.
Direz-vous, je suis sans chrétienne ?
Vous en avez à la maison
Une qui vaut cent fois la mienne.
Ne prenez donc pas tant de peine :
C'est pour ma femme trop d'honneur ;
Il ne lui faut si gros monsieur.
Tenons-nous chacun à la notre ;
N'allez point à l'eau chez un autre,
Ayant plein puits de ces douceurs ;
Je m'en rapporte aux connaisseurs :
Si Dieu m'avait fait tant de grâce,
Qu'ainsi que vous je disposasse
De Madame, je m'y tiendrais,
Et d'une reine ne voudrais.
Mais puisqu'on ne saurait défaire
Ce qui s'est fait, je voudrais bien,
(Ceci soit dit sans vous déplaire)
Que content de votre ordinaire
Vous ne goûtassiez plus du mien.
Le patron ne voulut lui dire
Ni oui ni non sur ce discours ;
Et commanda que tous les jours
On mît aux repas, près du sire,
Un pâté d'anguille ; ce mets
Lui chatouillait fort le palais.
Avec un appétit extrême
Une et deux fois il en mangea :
Mais quand ce vint à la troisième
La seule odeur le dégoûta.
Il voulut sur une autre viande
Mettre la main ; on l'empêcha :
Monsieur, dit-on, nous le commande :
Tenez-vous-en à ce mets-la :
Vous l'aimez, qu'avez-vous à dire ?
M'en voilà soûl, reprit le sire.
Et quoi toujours pâtés au bec !
Pas une anguille de rôtie !
Pâtés tous les jours de ma vie !
J'aimerais mieux du pain tout sec :
Laissez-moi prendre un peu du vôtre :
Pain de par Dieu, ou de par l'autre :
Au diable ces pâtés maudits ;
Ils me suivront en paradis,
Et par-delà, Dieu me pardonne.
Le maître accourt soudain au bruit,
Et prenant sa part du déduit,
Mon ami, dit-il, je m'étonne
Que d'un mets si plein de bonté
Vous soyez si tôt dégoûté.
Ne vous ai-je pas ouï dire
Que c'était votre grand ragoût ?
Il faut qu'en peu de temps, beau sire
Vous ayez bien changé de goût ?
Qu'ai-je fait qui fût plus étrange ?
Vous me blâmez lorsque je change
Un mets que vous croyez friand,
Et vous en faites tout autant.
Mon doux ami, je vous apprends
Que ce n'est pas une sottise,
En fait de certains appétis,
De changer son pain blanc en bis :
Diversité c'est ma devise.
Quand le maître eut ainsi parlé,
Le valet fut tout consolé.
Non que ce dernier n‘ ; eût à dire
Quelque chose encor là-dessus
Car après tout doit-il suffire
D'alléguer son plaisir sans plus ?
J'aime le change. A la bonne heure,
On vous l'accorde ; mais gagnez
S'il se peut les intéressés :
Cette voie est bien la meilleure :
Suivez-la donc. A dire vrai,
Je crois que l'amateur du change
De ce conseil tenta l'essai.
On dit qu'il parlait comme un ange,
De mots dorés usant toujours :
Mots dorés font tout en amours.
C'est une maxime constante :
Chacun sait qu'elle est mon entente :
J'ai rebattu cent et cent fois
Ceci dans cent et cent endroits :
Mais la chose est si nécessaire,
Que je ne puis jamais m'en taire,
Et redirai jusques au bout,
Mots dorés en amours font tout.
Ils persuadent la donzelle,
Son petit chien, sa demoiselle,
Son époux quelquefois aussi ;
C'est le seul qu'il fallait ici
Persuader ; il n'avait l'âme
Sourde à cette éloquence ; et dame
Les orateurs du temps jadis
N'en ont de telle en leurs écrits.
Notre jaloux devint commode.
Même on dit qu'il suivit la mode
De son maître, et toujours depuis
Changea d'objets en ses déduits.
Il n'était bruit que d'aventures
Du chrétien et de créatures.
Les plus nouvelles sans manquer
Etaient pour lui les plus gentilles.
Par où le drôle en put croquer,
II en croqua, femmes et filles,
Nymphes, grisettes, ce qu'il put.
Toutes étaient de bonne prise ;
Et sur ce point, tant qu'il vécut,
Diversité fut sa devise.

Les Lunettes

J'avais juré de laisser là les nonnes :
Car que toujours on voie en mes écrits
Même sujet, et semblables personnes,
Cela pourrait fatiguer les esprits.
Ma muse met guimpe sur le tapis :
Et puis quoi ? guimpe ; et puis guimpe sans cesse ;
Bref toujours guimpe, et guimpe sous la presse.
C'est un peu trop. Je veux que les nonnains
Fassent les tours en amour les plus fins ;
Si ne faut-il pour cela qu'on épuise
Tout le sujet ; le moyen ? c'est un fait
Par trop fréquent, je n'aurais jamais fait :
II n'est greffier dont la plume y suffise.
Si j y tâchais on pourrait soupçonner
Que quelque cas m'y ferait retourner ;
Tant sur ce point mes vers font de rechutes ;
Toujours souvient à Robin de ses flûtes.
Or apportons à cela quelque fin.
Je le pretends, cette tâche ici faite.
Jadis s'était introduit un blondin
Chez des nonnains à titre de fillette.
II n'avait pas quinze ans que tout ne fût :
Dont le galant passa pour soeur Colette
Auparavant que la barbe lui crût.
Cet entre-temps ne fut sans fruit ; le sire
L'employa bien : Agnès en profita.
Las quel profit ! j eusse mieux fait de dire
Qu'à soeur Agnès malheur en arriva
Il lui fallut élargir sa ceinture
Puis mettre au jour petite créature
Qui ressemblait comme deux gouttes d'eau,
Ce dit l'histoire, à la soeur jouvenceau.
Voilà scandale et bruit dans l'abbaye.
D'où cet enfant est-il plu ? comme a-t-on
Disaient les soeurs en riant, je vous prie
Trouve céans ce petit champignon ?
Si ne s'est-il après tout fait lui-même.
La prieure est en un courroux extrême.
Avoir ainsi souillé cette maison !
Bientôt on mit l'accouchée en prison.
Puis il fallut faire enquête du père.
Comment est-il entré ? comment sorti ?
Les murs sont hauts, antique la tourière,
Double la grille, et le tour très petit.
Serait-ce point quelque garçon en fille ?
Dit la prieure, et parmi nos brebis
N'aurions-nous point sous de trompeurs habits
Un jeune loup ? sus qu'on se déshabille :
Je veux savoir la vérité du cas.
Qui fut bien pris, ce fut la feinte ouaille.
Plus son esprit à songer se travaille,
Moins il espère échapper d'un tel pas.
Nécessite mère de stratagème
Lui fit. . . eh bien ? lui fit en ce moment
Lier. . . : eh quoi ? foin, je suis court moi-même :
Ou prendre un mot qui dise honnêtement
Ce que lia le père de l'enfant ?
Comment trouver un détour suffisant
Pour cet endroit ? vous avez ouï dire
Qu'au temps jadis le genre humain avait
Fenêtre au corps ; de sorte qu'on pouvait
Dans le dedans tout à son aise lire ;
Chose commode aux médecins d'alors.
Mais si d'avoir une fenêtre au corps
Etait utile, une au coeur au contraire
Ne l'était pas ; dans les femmes surtout :
Car le moyen qu'on pût venir à bout
De rien cacher ? notre commune mère
Dame Nature y pourvut sagement
Par deux lacets de pareille mesure.
L'homme et la femme eurent également
De quoi fermer une telle ouverture.
La femme fut lacée un peu trop dru.
Ce fut sa faute, elle-même en fut cause ;
N'étant jamais à son gré trop bien close.
L'homme au rebours ; et le bout du tissu
Rendit en lui la Nature perplexe.
Bref le lacet à l'un et l'autre sexe
Ne put cadrer, et se trouva, dit-on,
Aux femmes court, aux hommes un peu long.
Il est facile à présent qu'on devine
Ce que lia notre jeune imprudent ;
C'est ce surplus, ce reste de machine,
Bout de lacet aux hommes excédant.
D'un brin de fil il l'attacha de sorte
Que tout semblait aussi plat qu'aux nonnains :
Mais fil ou soie, il n'est bride assez forte
Pour contenir ce que bientôt je crains
Qui ne s'échappe ; amenez-moi des saints ;
Amenez-moi si vous voulez des anges ;
Je les tiendrai créatures étranges,
Si vingt nonnains telles qu'on les vit lors
Ne font trouver à leur esprit un corps.
J'entends nonnains ayant tous les trésors
De ces trois soeurs dont la fille de l'onde
Se fait servir ; chiches et fiers appas,
Que le soleil ne voit qu'au nouveau monde,
Car celui-ci ne les lui montre pas.
La prieure a sur son nez des lunettes,
Pour ne juger du cas légèrement.
Tout à l'entour sont debout vingt nonnettes,
En un habit que vraisemblablement
N'avaient pas fait les tailleurs du couvent.
Figurez-vous la question qu'au sire
On donna lors ; besoin n'est de le dire.
Touffes de lis, proportion du corps,
Secrets appas, embonpoint, et peau fine,
Fermes tétons, et semblables ressorts
Eurent bientôt fait jouer la machine.
Elle échappa, rompit le fil d'un coup,
Comme un coursier qui romprait son licou,
Et sauta droit au nez de la prieure,
Faisant voler lunettes tout à l'heure
Jusqu'au plancher. II s'en fallut bien peu
Que l'on ne vît tomber la lunetière.
Elle ne prit cet accident en jeu.
L'on tint chapitre, et sur cette matière
Fut raisonné longtemps dans le logis.
Le jeune loup fut aux vieilles brebis
Livre d'abord. Elles vous l'empoignèrent
A certain arbre en leur cour l'attachèrent
Ayant le nez devers l'arbre tourne,
Le dos à l'air avec toute la suite :
Et cependant que la troupe maudite
Songe comment il sera guerdonné,
Que l'une va prendre dans les cuisines
Tous les balais, et que l'autre s'en court
A l'arsenal ou sont les disciplines,
Qu'une troisième enferme à double tour
Les soeurs qui sont jeunes et pitoyables,
Bref que le sort ami du marjolet
Ecarte ainsi toutes les détestables,
Vient un meunier monté sur son mulet
Garçon carré, garçon couru des filles,
Bon compagnon, et beau joueur de quille
Oh oh dit-il, qu'est-ce là que je voi ?
Le plaisant saint ! jeune homme, je te prie,
Qui t'a mis là ? sont-ce ces soeurs, dis-moi.
Avec quelqu'une as-tu fait la folie ?
Te plaisait-elle ? était-elle jolie ?
Car à te voir tu me portes ma foi
(Plus je regarde et mire ta personne)
Tout le minois d'un vrai croqueur de nonne.
L'autre répond : Hélas, c'est le rebours :
Ces nonnes m'ont en vain prié d'amours.
Voilà mon mal ; Dieu me doint patience ;
Car de commettre une si grande offense,
J'en fais scrupule, et fut-ce pour le Roi ;
Me donnât-on aussi gros d'or que moi.
Le meunier rit ; et sans autre mystère
Vous le délie, et lui dit : Idiot,
Scrupule toi, qui n'es qu'un pauvre hère !
C'est bien à nous qu'il appartient d'en faire !
Notre curé ne serait pas si sot.
Vite, fuis-t'en, m'ayant mis en ta place :
Car aussi bien tu n'es pas, comme moi,
Franc du collier, et bon pour cet emploi : -
Je n'y veux point de quartier ni de grâce :
Viennent ces soeurs ; toutes je te répond,
Verront beau jeu si la corde ne rompt.
L'autre deux fois ne se le fait redire.
Il vous l'attache, et puis lui dit adieu.
Large d'épaule on aurait vu le sire
Attendre nu les nonnains en ce lieu.
L'escadron vient, porte en guise de cierges
Gaules et fouets : procession de verges,
Qui fit la ronde à l'entour du meunier,
Sans lui donner le temps de se montrer,
Sans l'avertir. Tout beau, dit-il, Mesdames :
Vous vous trompez ; considérez-moi bien :
Je ne suis pas cet ennemi des femmes,
Ce scrupuleux qui ne vaut rien à rien.
Employez-moi, vous verrez des merveilles.
Si je dis faux, coupez-moi les oreilles.
D'un certain jeu je viendrai bien à bout ;
Mais quant au fouet je n'y vaux rien du tout.
Qu'entend ce rustre, et que nous veut-il ire.
S'écria lors une de nos sans-dents.
Quoi tu n'es pas notre faiseur d'enfants ?
Tant pis pour toi, tu payras pour le sire.
Nous n'avons pas telles armes en main,
Pour demeurer en un si beau chemin.
Tiens tiens, voilà l'ébat que l'on désire.
A ce discours fouets de rentrer en jeu,
Verges d'aller, et non pas pour un peu ;
Meunier de dire en langue intelligible,
Crainte de n'être assez bien entendu :
Mesdames je. . . ferai tout mon possible
Pour m'acquitter de ce qui vous est dû.
Plus il leur tient des discours de la sorte,
Plus la fureur de l'antique cohorte
Se fait sentir. Longtemps il s'en souvint.
Pendant qu'on donne au maître l'anguillade,
Le mulet fait sur l'herbette gambade.
Ce qu'à la fin l'un et l'autre devint,
Je ne le sais, ni ne m'en mets en peine.
Suffit d'avoir sauvé le jouvenceau.
Pendant un temps les lecteurs pour douzaine
De ces nonnains au corps gent et si beau
N'auraient voulu, je gage, être en sa peau.

Janot et Catin

Un beau matin,
Trouvant Catin
Toute seulette,
Pris son tétin
De blanc satin,
Par amourette :
Car de galette,
Tant soit mollette,
Moins friand suis pour le certain.
Adonc me dit la bachelette :
Que votre coq cherche poulette ;
Ici ne fera grand butin.
Telle censure
Ne fut si sure
Qu'elle espéroit :
De ma fressure
Dame Luxure
Jà s'emparoit.
En tel détroit
Mon cas estoit,
Que je quis meilleure aventure :
Catin ce jeu point n'entendoit ;
Mieux attaquois, mieux défendoit ;
Dont je souffris peine très dure.
Pendant l'étrif,
D'un ton plaintif
Dis chose telle :
Las moi chétif,
En son esquif
Charon m'appelle.
Cessez donc belle
D'être cruelle
A cetuy votre humble captif,
Il est à vous, foie et ratelle .
Bien grand merci, répondit-elle ;
Besoin n'ai d'un tel apprentif.
JANOT
Je vous affie
Et certifie
Que quelque jour
J'ai bonne envie
Ne vous voir mie
Dure à l'étour :
Le dieu d'amour
Sait plus d'un tour ;
Que votre coeur trop ne s'y fie ;
Car quant à moy j'ay belle paour
Qu'à vous férir n'ait le bras gourd ;
Le contemner est donc folie.
CATIN
Vous n'avez pas
Bien pris mon cas
Ne ma sentence ;
De tomber, las,
D'amour ès lacs
Ne fais doutance.
Mais telle offense,
En conscience,
Ne commettrois pour cent ducats :
Que ce soit donc votre plaisance,
De me laisser en patience,
Et de finir cet altercas.
JANOT
Alors qu'on use
De vaine excuse
C'est grand défaut ;
Telle refuse,
Qui après muse,
Dont bien peu chault :
Car point ne fault
Tout homme caut
A chercher mieux quand on l'amuse ;
Dont je conclus qu'en amours faut
Battre le fer quand il est chaud,
Sans chercher ni détour ni ruse.
Onc en amours
Vaines clamours
Ne me reviennent ;
Roses et flours,
Tous plaisans tours,
Mieux y conviennent :
Assez tost viennent,
Voire et proviennent
Du temps qu'on perd douleurs et plours :
Tant que tels cas aux gens surviennent,
C'est bien raison qu'ils entretiennent
En tout déduit leurs plus beaux jours.
Ainsi preschois,
Et j'émouvois
Cette mignonne ;
Mes mains fourrois,
Usant des droits
Qu'Amour nous donne.
Humeur friponne
Chez la pouponne
Se glissa lors en tapinois.
Son oeil me dit en son patois :
Berger berger, ton heure sonne ;
J'entendis clair, car il n'est homme
Plus attentif à telle voix.
Ami lecteur qui ceci veois,
Ton serviteur qui Jean se nomme
Dira le reste une autre fois.

Le Cuvier

Soyez amant, vous serez inventif :
Tour ni détour, ruse ni stratagème
Ne vous faudront : le plus jeune apprentif
Est vieux routier dès le moment qu'il aime :
On ne vit onc que cette passion
Demeurât court faute d'invention :
Amour fait tant qu'enfin il a son compte.
Certain cuvier, dont on fait certain conte
En fera foi. Voici ce que j'en sais,
Et qu'un quidam me dit ces jours passés.
Dedans un bourg ou ville de province
(N'importe pas du titre ni du nom)
Un tonnelier et sa femme Nanon
Entretenaient un ménage assez mince.
De l'aller voir Amour n'eut à mépris
Y conduisant un de ses bons amis ;
C'est Cocuage ; il fut de la partie ;
Dieux familiers, et sans cérémonie
Se trouvant bien dans toute hôtellerie
Tout est pour eux bon gîte et bon logis
Sans regarder si c'est Louvre ou cabane.
Un drôle donc caressait Madame Anne.
Ils en étaient sur un point, sur un point. . .
C'est dire assez de ne le dire point,
Lorsque l'époux revient tout hors d'haleine
Du cabaret ; Justement, justement. . .
C'est dire encor ceci bien clairement.
On le maudit ; nos gens sont fort en peine.
Tout ce qu'on put, fut de cacher l'amant :
On vous le serre en hâte et promptement
Sous un cuvier, dans une cour prochaine.
Tout en entrant l'époux dit : J'ai vendu
Notre cuvier. Combien ? dit Madame Anne.
Quinze beaux francs. Va tu n'es qu'un gros âne
Repartit-elle : et je t'ai d'un écu ; ;
Fait aujourd'hui profit par mon adresse,
L'ayant vendu six écus avant toi.
Le marchand voit s'il est de bon aloi,
Et par dedans le tâte pièce à pièce,
Examinant si tout est comme il faut,
Si quelque endroit n'a point quelque défaut.
Que ferais-tu malheureux sans ta femme ?
Monsieur s'en va chopiner, cependant
Qu'on se tourmente ici le corps et l'âme :
Il faut agir sans cesse en l'attendant.
Je n'ai goûté jusqu'ici nulle joie :
J'en goûterai désormais, attends-t'y.
Voyez un peu, le galant a bon foie :
Je suis d'avis qu'on laisse à tel mari
Telle moitié. Doucement notre épouse,
Dit le bon homme. Or sus Monsieur, sortez
Cà que je racle un peu de tous côtés
Votre cuvier, et puis que je l'arrouse.
Par ce moyen vous verrez s'il tient eau,
Je vous réponds qu'il n'est moins bon que beau.
Le galant sort ; l'époux entre en sa place,
Racle partout, la chandelle à la main,
Deçà delà, sans qu'il se doute brin
De ce qu'Amour en dehors vous lui brasse :
Rien n'en put voir ; et pendant qu'il repasse
Sur chaque endroit, affublé du cuveau,
Les dieux susdits lui viennent de nouveau
Rendre visite, imposant un ouvrage
A nos amants bien diffèrent du sien.
Il regratta, gratta, frotta si bien,
Que notre couple, ayant repris courage,
Reprit aussi le fil de l'entretien
Qu'avait troublé le galant personnage
Dire comment le tout se put passer,
Ami lecteur, tu dois m'en dispenser :
Suffit que j'ai très bien prouvé ma thèse.
Ce tour fripon du couple augmentait l'aise.
Nul d'eux n'était à tels jeux apprentif.
Soyez amant, vous serez inventif.

La Chose Impossible

Un démon plus noir que malin
Fit un charme si souverain
Pour l'amant de certaine belle
Qu'à la fin celui-ci posséda sa cruelle.
Le pact de notre amant et de l'esprit follet
Ce fut que le premier jouirait à souhait
De sa charmante inexorable.
Je te la rends dans peu, dit Satan, favorable :
Mais par tel si, qu'au lieu qu'on obéit au diable
Quand il a fait ce plaisir-là,
A tes commandements le diable obéira
Sur l'heure même, et puis sur la même heure
Ton serviteur lutin, sans plus longue demeure,
Ira te demander autre commandement
Que tu lui feras promptement ;
Toujours ainsi, sans nul retardement :
Sinon, ni ton corps ni ton âme
N'appartiendront plus à ta dame
Ils seront à Satan, et Satan en fera
Tout ce que bon lui semblera.
Le galant s'accorde à cela
Commander, était-ce un mystère ?
Obéir est bien autre affaire
Sur ce penser-là notre amant
S'en va trouver sa belle ; en a contentement
Goûte des voluptés qui n'ont point de pareille ;
Se trouve très heureux ; hormis qu'incessamment
Le diable était à ses oreilles.
Alors l'amant lui commandait
Tout ce qui lui venait en tête ;
De bâtir des palais, d'exciter la tempête ;
En moins d'un tour de main cela s'accomplissait
Mainte pistole se glissait
Dans l'escarcelle de notre homme.
Il envoyait le diable à Rome ;
Le diable revenait tout chargé de pardons .
Aucuns voyages n'étaient longs,
Aucune chose malaisée.
L'amant à force de rêver
Sur les ordres nouveaux qu'il lui fallait trouver,
Vit bientôtsa cervelle usée.
Il s'en plaignit à sa divinité :
Lui dit de bout en bout toute la vérité.
Quoi ce n'est que cela ? lui repartit la dame :
Je vous aurai bientôt tiré
Une telle épine de l'âme.
Quand le diable viendra, vous lui présenterez
Ce que je tiens, et lui direz :
Défrise-moi ceci ; fais tant par tes journées
Qu'il devienne tout plat. Lors elle lui donna
Je ne sais quoi qu'elle tira
Du verger de Cypris, labyrinthe des fées,
Ce qu'un duc autrefois jugea si précieux,
Qu'il voulut l'honorer d'une chevalerie ;
Illustre et noble confrérie
Moins pleine d'hommes que de dieux.
L'amant dit au démon : C'est ligne circulaire
Et courbe que ceci ; je t'ordonne d'en faire
Ligne droite et sans nul retours.
Va-t'en y travailler, et cours.
L'esprit s'en va ; n'a point de cesse
Qu'il n'ait mis le fil sous la presse,
Tâche de l'aplatir à grands coups de marteau,
Fait séjourner au fond de l'eau ;
Sans que la ligne fut d'un seul point étendue ;
De quelque tour qu'il se servît,
Quelque secret qu'il eût, quelque charme qu'il fît
C'était temps et peine perdue :
Il ne put mettre à la raison
La toison.
Elle se révoltait contre le vent, la pluie
La neige, le brouillard : plus Satan y touchait,
Moins l'annelure se lâchait.
Qu'est ceci, disait-il, je ne vis de ma vie
Chose de telle étoffe : il n'est point de lutin
Qui n'y perdît tout son latin.
Messire diable un beau matin
S'en va trouver son homme, et lui dit : Je te laisse.
Apprends-moi seulement ce que c'est que cela :
Je te le rends, tiens, le voilà,
Je suis victus, je le confesse.
Notre ami Monsieur le luiton,
Dit l'homme, vous perdez un peu trop tôt courage ;
Celui-ci n'est pas seul, et plus d'un compagnon
Vous aurait taillé de l'ouvrage.

Le Magnifique

Un peu d'esprit, beaucoup de bonne mine,
Et plus encor de libéralité,
C'est en amour une triple machine
Par qui maint fort est bientôt emporté ;
Rocher fut-il ; rochers aussi se prennent.
Qu'on soit bien fait, qu'on ait quelque talent,
Que les cordons de la bourse ne tiennent ;
Je vous le dis, la place est au galant.
On la prend bien quelquefois sans ces choses.
Bon fait avoir néanmoins quelques doses
D'entendement et n'être pas un sot :
Quant à l'avare on le hait : le magot
A grand besoin de bonne rhétorique :
La meilleure est celle du libéral.
Un Florentin nommé le Magnifique
La possédait en propre original.
Le Magnifique était un nom de guerre
Qu'on lui donna ; bien l'avait mérité :
Son train de vivre, et son honnêteté,
Ses dons surtout, l'avaient par toute terre
Déclaré tel ; propre, bien fait, bien mis,
L'esprit galant, et l'air des plus polis.
Il se piqua pour certaine femelle
De haut état. La conquête était belle :
Elle excitait doublement le désir :
Rien n'y manquait, la gloire et le plaisir.
Aldobrandin était de cette dame
Bail et mari : pourquoi bail ? ce mot-là
Ne me plaît point ; c'est mal dit que cela ;
Car un mari ne baille point sa femme.
Aldobrandin la sienne ne baillait ;
Trop bien cet homme à la garder veillait
De tous ses yeux ; s'il en eut eu dix mille,
Il les eût tous à ce soin occupés :
Amour le rend, quand il veut, inutile ;
Ces Argus-là sont fort souvent trompés.
Aldobrandin ne croyait pas possible
Qu'il le fut onc ; il défiait les gens.
Au demeurant il était fort sensible
A l'intérêt, aimait fort les présents.
Son concurrent n'avait encor su dire
Le moindre mot à l'objet de ses voeux :
On ignorait, ce lui semblait, ses feux,
Et le surplus de l'amoureux martyre ;
(Car c'est toujours une même chanson)
Si l'on l'eût su, qu'eût-on fait ? que fait-on ?
Jà n'est besoin qu'au lecteur je le die.
Pour revenir à notre pauvre amant,
Il n'avait su dire un mot seulement
Au médecin touchant sa maladie.
Or le voilà qui tourmente sa vie,
Qui va, qui vient, qui court, qui perd ses pas :
Point de fenêtre et point de jalousie
Ne lui permet d'entrevoir les appas
Ni d'entr'ouïr la voix de sa maîtresse.
Il ne fut onc semblable forteresse.
Si faudra-t-il qu'elle y vienne pourtant
Voici comment s'y prit notre assiégeant.
Je pense avoir déjà dit, ce me semble,
Qu'Aldobrandin homme à présents était ;
Non qu'il en fît, mais il en recevait.
Le Magnifique avait un cheval d'amble,
Beau, bien taillé, dont il faisait grand cas :
Il l'appelait à cause de son pas
La haquenée. Aldobrandin le loue :
Ce fut assez ; notre amant proposa
De le troquer ; l'époux s'en excusa :
Non pas, dit-il, que je ne vous avoue
Qu'il me plaît fort ; mais à de tels marchés
Je perds toujours. Alors le Magnifique,
Qui voit le but de cette politique,
Reprit : Eh bien, faisons mieux ; ne troquez ;
Mais pour le prix du cheval permettez
Que vous présent j'entretienne Madame.
C'est un désir curieux qui m'a pris.
Encor faut-il que vos meilleurs amis
Sachent un peu ce qu'elle a dedans l'âme.
Je vous demande un quart d'heure sans plus.
Aldobrandin l'arrêtant là-dessus :
J'en suis d'avis ; je livrerai ma femme ?
Ma foi mon cher gardez votre cheval.
Quoi, vous présent ? Moi présent. Et quel mal
Encore un coup peut-il en la présence
D'un mari fin comme vous arriver ?
Aldobrandin commence d'y rêver :
Et raisonnant en soi : quelle apparence
Qu'il en mévienne en effet moi présent ?
C'est marché sûr ; il est fol ; à son dam ;
Que prétend-il ? pour plus grande assurance,
Sans qu'il le sache, il faut faire défense
A ma moitié de répondre au galant.
Sus, dit l'époux, j'y consens. La distance
De vous à nous, poursuivit notre amant,
Sera réglée, afin qu'aucunement
Vous n'entendiez. Il y consent encore :
Puis va quérir sa femme en ce moment.
Quand l'autre voit celle-la qu'il adore,
Il se croit être en un enchantement.
Les saluts faits, en un coin de la salle
Ils se vont seoir. Notre galant n'étale
Un long narré ; mais vient d'abord au fait.
Je n'ai le lieu ni le temps à souhait,
Commenca-t-il ; puis je tiens inutile
De tant tourner, il n'est que d'aller droit.
Partant, Madame, en un mot comme en mille,
Votre beauté jusqu'au vif m'a touché.
Penseriez-vous que ce fût un péché
Que d'y répondre ? ah je vous crois, Madame
De trop bon sens. Si j'avais le loisir,
Je ferais voir par les formes ma flamme,
Et vous dirais de cet ardent desir
Tout le menu : mais que je brûle, meure,
Et m'en tourmente, et me dise aux abois,
Tout ce chemin que l'on fait en six mois
Il me convient le faire en un quart d'heure :
Et plus encor ; car ce n'est pas là tout.
Froid est l'amant qui ne va jusqu'au bout,
Et par sottise en si beau train demeure.
Vous vous taisez ? pas un mot ! qu'est-ce là ?
Renvoyrez-vous de la sorte un pauvre homme
Le Ciel vous fit, il est vrai, ce qu'on nomme .
Divinité ; mais faut-il pour cela
Ne point répondre alors que l'on vous prie ?
Je vois, je vois, c'est une tricherie
De votre époux : il m'a joué ce trait ;
Et ne prétend qu'aucune repartie
Soit du marché : mais j'y sais un secret.
Rien n'y fera pour le sûr sa défense.
Je saurai bien me répondre pour vous :
Puis ce coin d'oeil par son langage doux
Rompt à mon sens quelque peu le silence.
J'y lis ceci : Ne croyez pas, Monsieur,
Que la nature ait composé mon coeur
De marbre dur. Vos fréquentes passades,
Joutes, tournois, devises, sérénades,
M'ont avant vous déclare votre amour.
Bien loin qu'il m'ait en nul point offensée,
Je vous dirai que des le premier jour
J'y répondis, et me sentis blessée
Du même trait ; mais que nous sert ceci ?
Ce qu'il nous sert ? je m'en vais vous le dire :
Etant d'accord, il faut cette nuit-ci
Goûter le fruit de ce commun martyre ;
De votre époux nous venger et nous rire ;
Bref le payer du soin qu'il prend ici ;
De ces fruits-là le dernier n'est le pire.
Votre jardin viendra comme de cire :
Descendez-y, ne doutez du succès :
Votre mari ne se tiendra jamais
Qu'à sa maison des champs, je vous l'assure,
Tantôt il n'aille éprouver sa monture
Vos douagnas en leur premier sommeil,
Vous descendrez, sans nul autre appareil
Que de jeter une robe fourrée
Sur votre dos, et viendrez au jardin.
De mon côté l'échelle est préparée.
Je monterai par la cour du voisin :
Je l'ai gagné : la rue est trop publique.
Ne craignez rien. Ah mon cher Magnifique
Que je vous aime ! et que je vous sais gré
De ce dessein ! venez, je descendrai.
C'est vous qui parle ; et plût au Ciel, Madame
Qu'on vous osât embrasser les genoux !
Mon Magnifique, à tantôt ; votre flamme
Ne craindra point les regards d'un jaloux.
L'amant la quitte ; et feint d'être en courroux ;
Puis tout grondant : Vous me la donnez bonne
Aldobrandin ; je n'entendais cela.
Autant vaudrait n'être avecque personne
Que d'être avec Madame que voilà.
Si vous trouvez chevaux à ce prix-là,
Vous les devez prendre sur ma parole
Le mien hannit du moins ; mais cette idole
Est proprement un fort joli poisson.
Or sus, j'en tiens ; ce m'est une leçon.
Quiconque veut le reste du quart d'heure
N'a qu'à parler ; j'en ferai juste prix.
Aldobrandin rit si fort qu'il en pleure.
Ces jeunes gens, dit-il, en leurs esprits
Mettent toujours quelque haute entreprise.
Notre féal vous lâchez trop tôt prise ;
Avec le temps on en viendrait à bout
J'y tiendrai l'oeil ; car ce n'est pas là tout
Nous y savons encor quelque rubrique :
Et cependant, Monsieur le Magnifique,
La haquenée est nettement à nous :
Plus ne fera de dépense chez vous.
Dès aujourd'hui, qu'il ne vous en déplaise,
Vous me verrez dessus fort à mon aise
Dans le chemin de ma maison des champs
Il n'y manqua, sur le soir ; et nos gens
Au rendez-vous tout aussi peu manquèrent.
Dire comment les choses s'y passèrent
C'est un détail trop long ; lecteur prudent
Je m'en remets à ton bon jugement.
La dame était jeune, fringante, et belle,
L'amant bien fait, et tous deux fort épris.
Trois rendez-vous coup sur coup furent pris ;
Moins n'en valait si gentille femelle.
Aucun péril, nul mauvais accident
Bons dormitifs en or comme en argent
Aux douagnas, et bonne sentinelle.
Un pavillon vers le bout du jardin
Vint à propos ; Messire Aldobrandin
Ne l'avait fait bâtir pour cet usage.
Conclusion qu'il prit en cocuage
Tous ses degrés ; un seul ne lui manqua ;
Tant sut jouer son jeu la haquenée :
Content ne fut d'une seule journée
Pour l'éprouver ; aux champs il demeura
Trois jours entiers, sans doute ni scrupule.
J'en connais bien qui ne sont si chanceux
Car ils ont femme, et n'ont cheval ni mule
Sachant de plus tout ce qu'on fait chez eux.

Le Tableau

On m'engage à conter d'une manière honnête
Le sujet d'un de ces tableaux
Sur lesquels ont met des rideaux.
Il me faut tirer de ma tête
Nombre de traits nouveaux, piquants et délicats
Qui disent et ne disent pas,
Et qui soient entendus sans notes
Des Agnès même les plus sottes ;
Ce n'est pas coucher gros ; ces extrêmes Agnès
Sont oiseaux qu'on ne vit jamais.
Toute matrone sage, à ce que dit Catulle
Regarde volontiers le gigantesque don
Fait au fruit de Venus par la main de Junon
A ce plaisant objet si quelqu'une recule
Cette quelqu'une dissimule.
Ce principe posé, pourquoi plus de scrupule
Pourquoi moins de licence aux oreilles qu'aux yeux
Puisqu'on le veut ainsi, je ferai de mon mieux :
Nuls traits à découvert n'auront ici de place
Tout y sera voile ; mais de gaze ; et si bien
Que je crois qu'on n'en perdra rien.
Qui pense finement, et s'exprime avec grâce,
Fait tout passer ; car tout passe :
Je l'ai cent fois éprouvé :
Quand le mot est bien trouvé,
Le sexe en sa faveur à la chose pardonne :
Ce n'est plus elle alors, c'est elle encor pourtant :
Vous ne faites rougir personne,
Et tout le monde vous entend.
J'ai besoin aujourd'hui de cet art important.
Pourquoi, me dira-t-on, puisque sur ces merveilles,
Le sexe porte l'oeil sans toutes ces façons ?
Je réponds à cela : chastes sont ses oreilles
Encor que les yeux soient fripons.
Je veux, quoi qu'il en soit, expliquer à des belles
Cette chaise rompue, et ce rustre tombé :
Muses venez m'aider ; mais vous êtes pucelles,
Au joli jeu d'amour ne sachant A ni B.
Muses ne bougez donc ; seulement par bonté
Dites au dieu des vers que dans mon entreprise
Il est bon qu'il me favorise,
Et de mes mots fasse le choix,
Ou je dirai quelque sottise
Qui me fera donner du busque sur les doigts.
C'est assez raisonner ; venons à la peinture.
Elle contient une aventure
Arrivée au pays d'Amours.
Jadis la ville de Cythère
Avait en l'un de ses faubourgs
Un monastère.
Venus en fit un séminaire.
Il était de nonnains, et je puis dire ainsi
Qu'il était de galants aussi.
En ce lieu hantaient d'ordinaire
Gens de cour, gens de ville, et sacrificateurs,
Et docteurs,
Et bacheliers surtout. Un de ce dernier ordre
Passait dans lz maison pour être des amis,
Propre, toujours rasé, bien disant, et beau fils
Son chapeau luisant, sur son rabat bien mis
La médisance n'eût su mordre.
Ce qu'il avait de plus charmant,
C'est que deux des nonnains alternativement
En tiraient maint et maint service.
L'une n'avait quitté les atours de novice
Que depuis quelque mois ; l'autre encor les portait :
La moins jeune à peine comptait
Un an entier par-dessus seize ;
Age propre à soutenir thèse ;
Thèse d'amour ; le bachelier
Leur avait rendu familier
Chaque point de cette science
Et le tout par expérience.
Une assignation pleine d'impatience
Fut un jour par les soeurs donnée à cet amant ;
Et pour rendre complet le divertissement,
Bacchus avec Cérès, de qui la compagnie
Met Venus en train bien souvent,
Devaient être ce coup de la cérémonie.
Propreté toucha seule aux apprêts du régal.
Elle sut s'en tirer avec beaucoup de grâce.
Tout passa par ses mains, et le vin, et la glace,
Et les carafes de cristal.
On s'y seroit mire. Flore à l'haleine d'ambre
Sema de fleurs toute la chambre.
Elle en fit un jardin. Sur le linge ces fleurs
Formaient des lacs d'amour, et le chiffre des soeurs.
Leurs cloîtrières Excellences
Aimaient fort ces magnificences :
C'est un plaisir de nonne. Au reste leur beauté
Aiguisait l'appétit aussi de son côté.
Mille secrètes circonstances
De leurs corps polis et charmants
Augmentaient l'ardeur des amants.
Leur taille était presque semblable.
Blancheur, délicatesse, embonpoint raisonnable,
Fermeté, tout charmait, tout était fait au tour.
En mille endroits nichait l'amour,
Sous une guimpe, un voile, et sous un scapulaire
Sous ceci, sous cela que voit peu l'oeil du jour
Si celui du galant ne l'appelle au mystère.
A ces soeurs l'enfant de Cythère
Mille fois le jour s'en venait
Les bras ouverts, et les prenait
L'une après l'autre pour sa mère.
Tel ce couple attendait le bachelier trop lent ;
Et de lui tout en l'attendant
Elles disaient du mal, puis du bien, puis les belles
Imputaient son retardement
A quelques amitiés nouvelles.
Qui peut le retenir, disait l'une, est-ce amour ?
Est-ce affaire ? est-ce maladie ?
Qu'il y revienne de sa vie,
Disait l'autre il aura son tour.
Tandis qu'elles cherchaient là-dessous du mystère,
Passe un Mazet portant à la dépositaire
Certain fardeau peu nécessaire.
Ce n'était qu'un prétexte, et selon qu'on m'a dit
Cette dépositaire ayant grand appetit
Faisait sa portion des talents de ce rustre
Tenu dans tels repas pour un traiteur illustre.
Le coquin lourd d'ailleurs, et de très court esprit
A la cellule se méprit.
Il alla chez les attendantes
Frapper avec ses mains pesantes.
On ouvre, on est surpris, on le maudit d'abord,
Puis on voit que c'est un trésor.
Les nonnains s'éclatent de rire.
Toutes deux commencent à dire,
Comme si toutes deux s'étaient donné le mot :
Servons-nous de ce maître sot.
Il vaut bien l'autre ; que t'en semble ?
La professe ajouta : C'est très bien avisé
Qu'attendions-nous ici ? qu'il nous fût débité
De beaux discours ? non non ; ni rien qui leur ressemble.
Ce pitaud doit valoir pour le point souhaité
Bachelier et docteur ensemble.
Elle en jugeait très bien ; la taille du garçon,
Sa simplicité, sa façon,
Et le peu d'intérêt qu'en tout il semblait prendre,
Faisaient de lui beaucoup attendre.
C'était l'homme d'Esope ; il ne songeait à rien
Mais il buvait et mangeait bien ;
Et si Xantus l'eût laissé faire,
Il aurait poussé loin l'affaire.
Ainsi bientôt apprivoisé,
Il se trouva tout disposé
Pour exécuter sans remise
Les ordres des nonnains, les servant à leur guise
Dans son office de mazet
Dont il lui fut donne par les soeurs un brevet.
Ici la peinture commence :
Nous voilà parvenus au point ;
Dieu des vers, ne me quitte point ;
J'ai recours à ton assistance.
Dis-moi pourquoi ce rustre assis,
Sans peine de sa part, et très fort à son aise
Laisse le soin de tout aux amoureux soucis
De soeur Claude, et de soeur Thérèse.
N'aurait-il pas mieux fait de leur donner la chaise ?
Il me semble déjà que je vois Apollon
Qui me dit :
Tout beau ; ces matières
A fond ne s'examinent guères.
J'entends ; et l'Amour est un étrange garçon.
J'ai tort d'ériger un fripon
En maître des cérémonies.
Dès qu'il entre en une maison,
Règles et lois en sont bannies :
Sa fantaisie est sa raison.
Le voilà qui rompt tout ; c'est assez sa coutume.
Ses yeux sont violents. A terre on vit bientôt
Le galant cathédral ; ou soit par le défaut
De la chaise un peu faible ; ou soit que du pitaud
Le corps ne fût pas fait de plume ;
Ousoit que soeur Thérèse eût chargé d'action
Un discours véhément, et plein d'émotion ;
On entendit craquer l'amoureuse tribune. .
Le rustre tombe à terre en cette occasion.
Ce premier point eut par fortune
Malheureuse conclusion.
Censeurs, n'approchez point d'ici votre oeil profane.
Vous gens de bien, voyez comme soeur Claude mit
Un tel incident à profit.
Thérèse en ce malheur perdit la tramontane.
Claude la débusqua, s'emparant du timon.
Thérèse pire qu'un démon
Tâche à la retirer, et se remettre au trône ;
Mais celle-ci n'est pas personne
A céder un poste si doux.
Soeur Claude prenez garde à vous ;
Thérèse en veut venir aux coups ;
Elle a le poing levé. Qu'elle ait. C'est bien répondre ;
Quiconque est occupé comme vous, ne sent rien.
Je ne m'étonne pas que vous sachiez confondre
Un petit mal dans un grand bien.
Malgré la colère marquée
Sur le front de la débusquée
Claude suit son chemin, le rustre aussi le sien ;
Thérèse est mal contente et gronde.
Les plaisirs de Vénus sont sources de débats.
Leur fureur n'a point de seconde.
J'en prends à témoin les combats
Qu'on vit sur la terre et sur l'onde,
Lorsque Paris à Ménélas
Ota la merveille du monde.
Qu'un pitaud faisant naître un aussi grand procès
Tint ici lieu d'Hélène, une foi sans excès
Le peut croire, et fort bien ; troublez nonne en sa joie,
Vous verrez la guerre de Troie.
Quoique Bellone ait part ici,
J'y vois peu de corps de cuirasse,
Dame Vénus se couvre ainsi
Quand elle entre en champ clos avec le dieu de Thrace
Cette armure a beaucoup de grâce.
Belles vous m'entendez : je n'en dirai pas plus :
L'habit de guerre de Vénus
Est plein de choses admirables !
Les Cyclopes aux membres nus
Forgent peu de harnois qui lui soient comparables :
Celui du preux Achille aurait été plus beau,
Si Vulcan eût dessus gravé notre tableau.
Or ai-je des nonnains mis en vers l'aventure,
Mais non avec des traits dignes de l'action ;
Et comme celle-ci déchet dans la peinture,
La peinture déchet dans ma description :
Les mots et les couleurs ne sont choses pareilles,
Ni les yeux ne sont les oreilles.
J'ai laissé longtemps au filet
Soeur Thérèse la détrônée.
Elle eut son tour : notre mazet
Partagea si bien sa journée
Que chacun fut content. L'histoire finit là ;
Du festin pas un mot : je veux croire, et pour cause,
Que l'on but et que l'on mangea :
Ce fut l'intermède et la pause.
Enfin tout alla bien, hormis qu'en bonne foi
L'heure du rendez-vous m'embarrasse, et pourquoi ?
Si l'amant ne vint pas, Soeur Claude et soeur Thérèse
Eurent à tout le moins de quoi se consoler,
S'il vint, on sut cacher le lourdaud et la chaise,
L'amant trouva bientôt encore à qui parler.