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Seconde partie - achevée d'imprimer le 21 janvier 1666

Le faiseur d'oreilles et le raccommodeur de moules

Conte tiré des cent nouvelles nouvelles, et d'un conte de Boccace
Sire Guillaume allant en marchandise,
Laissa sa femme enceinte de six mois ;
Simple, jeunette, et d'assez bonne guise,
Nommée Alix, du pays champenois.
Compère André l'allait voir quelquefois
A quel dessein, besoin n'est de le dire,
Et Dieu le sait : c'était un maître sire ;
Il ne tendait guère en vain ses filets ;
Ce n'était pas autrement sa coutume.
Sage eût été l'oiseau qui de ses rets
Se fût sauvé sans laisser quelque plume.
Alix était fort neuve sur ce point.
Le trop d'esprit ne l'incommodait point :
De ce défaut on n'accusait la belle.
Elle ignorait les malices d'Amour.
La pauvre dame allait tout devant elle,
Et n'y savait ni finesse ni tour.
Son mari donc se trouvant en emplette,
Elle au logis, en sa chambre seulette,
André survient, qui sans long compliment
La considère ; et lui dit froidement :
Je m'ébahis comme au bout du royaume
S'en est allé le compère Guillaume,
Sans achever l'enfant que vous portez :
Car je vois bien qu'il lui manque une oreille
Votre couleur me le démontre assez,
En ayant vu mainte épreuve pareille.
Bonté de Dieu ! reprit-elle aussitôt,
Que dites-vous ? quoi d'un enfant monaut
J'accoucherais ? n'y savez-vous remède ?
Si da, fit-il, je vous puis donner aide
En ce besoin, et vous jurerai bien,
Qu'autre que vous ne m'en ferait tant faire.
Le mal d'autrui ne me tourmente en rien ;
Fors excepté ce qui touche au compère :
Quant à ce point je m'y ferais mourir.
Or essayons, sans plus en discourir,
Si je suis maître à forger des oreilles.
Souvenez-vous de les rendre pareilles,
Reprit la femme. Allez, n'ayez souci,
Répliqua-t-il, je prends sur moi ceci.
Puis le galant montre ce qu'il sait faire.
Tant ne fut nice (encor que nice fut)
Madame Alix, que ce jeu ne lui plut.
Philosopher ne faut pour cette affaire.
André vaquait de grande affection
A son travail ; faisant ore un tendon,
Ore un repli, puis quelque cartilage ;
Et n'y plaignant l'étoffe et la façon.
Demain, dit-il, nous polirons l'ouvrage,
Puis le mettrons en sa perfection ;
Tant et si bien qu'en ayez bonne issue.
Je vous en suis, dit-elle, bien tenue :
Bon fait avoir ici-bas un ami.
Le lendemain, pareille heure venue,
Compère André ne fut pas endormi.
Il s'en alla chez la pauvre innocente.
Je viens, dit-il, toute affaire cessante,
Pour achever l'oreille que savez.
Et moi, dit-elle, allais par un message
Vous avertir de hâter cet ouvrage :
Montons en haut. Dès qu'ils furent montés,
On poursuivit la chose encommencée.
Tant fut ouvré, qu'Alix dans la pensée
Sur cette affaire un scrupule se mit ;
Et l'innocente au bon apôtre dit :
Si cet enfant avait plusieurs oreilles,
Ce ne serait à vous bien besogné.
Rien, rien, dit-il ; à cela j'ai soigné ;
Jamais ne faux en rencontres pareilles.
Sur le métier l'oreille était encor,
Quand le mari revient de son voyage ;
Caresse Alix, qui du premier abord :
Vous aviez fait, dit-elle, un bel ouvrage.
Nous en tenions sans le compère André ;
Et notre enfant d'une oreille eût manqué.
Souffrir n'ai pu chose tant indécente.
Sire André donc, toute affaire cessante
En a fait une : il ne faut oublier
De l'aller voir, et l'en remercier ;
De tels amis on a toujours affaire.
Sire Guillaume, au discours qu'elle fit,
Ne comprenant comme il se pouvait faire
Que son épouse eût eu si peu d'esprit,
Par plusieurs fois lui fit faire un récit
De tout le cas ; puis outre de colère
Il prit une arme à côte de son lit ;
Voulut ruer la pauvre Champenoise,
Qui prétendait ne l'avoir mérité.
Son innocence et sa naïveté
En quelque sorte apaisèrent la noise.
Hélas Monsieur, dit la belle en pleurant,
En quoi vous puis-je avoir fait du dommage ?
Je n'ai donne vos draps ni votre argent ;
Le compte y est ; et quant au demeurant,
André me dit quand il parfit l'enfant,
Qu'en trouveriez plus que pour votre usage :
Vous pouvez voir, si je mens tuez-moi ;
Je m'en rapporte à votre bonne foi.
L'époux sortant quelque peu de colère,
Lui répondit : Or bien, n'en parlons plus ;
On vous l'a dit, vous avez cru bien faire,
J'en suis d'accord, contester là-dessus
Ne produirait que discours superflus :
Je n'ai qu'un mot. Faites demain en sorte
Qu'en ce logis j'attrape le galant :
Ne parlez point de notre différend ;
Soyez secrète, ou bien vous êtes morte
Il vous le faut avoir adroitement ;
Me feindre absent en un second voyage,
Et lui mander, par lettre ou par message,
Que vous avez à lui dire deux mots.
André viendra ; puis de quelques propos
L'amuserez ; sans toucher à l'oreille ;
Car elle est faite, il n y manque plus rien.
Notre innocente exécuta très bien
L'ordre donné ; ce ne fut pas merveille ;
La crainte donne aux bêtes de l'esprit.
André venu, l'époux guère ne tarde,
Monte, et fait bruit. Le compagnon regarde
Où se sauver : nul endroit il ne vit,
Qu'une ruelle en laquelle il se mit.
Le mari frappe ; Alix ouvre la porte ;
Et de la main fait signe incontinent,
Qu'en la ruelle est caché le galant.
Sire Guillaume était armé de sorte
Que quatre Andrés n'auraient pu l'étonner.
Il sort pourtant, et va quérir main forte,
Ne le voulant sans doute assassiner ;
Mais quelque oreille au pauvre homme couper
Peut-être pis, ce qu'on coupe en Turquie,
Pays cruel et plein de barbarie.
C'est ce qu'il dit à sa femme tout bas :
Puis l'emmena sans qu'elle osât rien dire ;
Ferma très bien la porte sur le sire.
André se crut sorti d'un mauvais pas,
Et que l'époux ne savait nulle chose.
Sire Guillaume, en rêvant à son cas
Change d'avis, en soi-même propose
De se venger avecque moins de bruit,
Moins de scandale, et beaucoup plus de fruit.
Alix, dit-il, allez quérir la femme
De sire André ; contez-lui votre cas
De bout en bout ; courez, n'y manquez pas.
Pour l'amener vous direz à la dame
Que son mari court un péril très grand ;
Que je vous ai parlé d'un châtiment
Qui la regarde, et qu'aux faiseurs d'oreilles
On fait souffrir en rencontres pareilles :
Chose terrible, et dont le seul penser
Vous fait dresser les cheveux à la tête ;
Que son époux est tout près d'y passer ;
Qu'on n'attend qu'elle afin d'être à la fête.
Que toutefois, comme elle n'en peut mais,
Elle pourra faire changer la peine ;
Amenez-la, courez ; je vous promets
D'oublier tout moyennant qu'elle vienne.
Madame Alix, bien joyeuse s'en fut
Chez sire André dont la femme accourut
En diligence, et quasi hors d'haleine ;
Puis monta seule, et ne voyant André,
Crut qu'il était quelque part enfermé.
Comme la dame était en ces alarmes,
Sire Guillaume ayant quitté ses armes
La fait asseoir, et puis commence ainsi :
L'ingratitude est mère de tout vice.
André m'a fait un notable service ;
Par quoi, devant que vous sortiez d'ici,
Je lui rendrai si je puis la pareille.
En mon absence il a fait une oreille
Au fruit d'Alix : je veux d'un si bon tour
Me revancher, et je pense une chose :
Tous vos enfants ont le nez un peu court :
Le moule en est assurément la cause.
Or je les sais des mieux raccommoder.
Mon avis donc est que sans retarder
Nous pourvoyions de ce pas à l'affaire.
Disant ces mots, il vous prend la commère,
Et près d'André la jeta sur le lit
Moitié raisin, moitié figue, en jouit.
La dame prit le tout en patience ;
Bénit le ciel de ce que la vengeance
Tombait sur elle, et non sur sire André ;
Tant elle avait pour lui de charité.
Sire Guillaume était de son côté
Si fort ému, tellement irrité,
Qu'à la pauvrette il ne fit nulle grâce
Du talion, rendant à son époux
Fèves pour pois, et pain blanc pour fouace.
Qu'on dit bien vrai que se venger est doux !
Très sage fut d'en user de la sorte :
Puisqu'il voulait son honneur réparer,
Il ne pouvait mieux que par cette porte
D'un tel affront à mon sens se tirer.
André vit tout, et n'osa murmurer ;
Jugea des coups ; mais ce fut sans rien dire ;
Et loua Dieu que le mal n'était pire.
Pour une oreille il aurait composé .
Sortir à moins, c'était pour lui merveilles :
Je dis à moins ; car mieux vaut, tout prise,
Cornes gagner que perdre ses oreilles.

Les frères de Catalogne

Nouvelle tirée des cent nouvelles nouvelles
Je vous veux conter la besogne
Des bons frères de Catalogne ;
Besogne ou ces frères en Dieu
Témoignèrent en certain lieu
Une charité si fervente,
Que mainte femme en fut contente,
Et crut y gagner Paradis.
Telles gens, par leurs bons avis,
Mettent à bien les jeunes âmes,
Tirent à soi filles et femmes,
Se savent emparer du coeur,
Et dans la vigne du Seigneur
Travaillent ainsi qu'on peut croire.
Et qu'on verra par cette histoire.
Au temps que le sexe vivait
Dans l'ignorance, et ne savait
Gloser encor sur l'Evangile,
(Temps à coter fort difficile)
Un essaim de frères dîmeurs,
Pleins d'appétit et beaux dîneurs,
S'alla jeter dans une ville,
En jeunes beautés très fertile.
Pour des galants, peu s'en trouvait ;
De vieux maris, il en plouvait.
A l'abord une confrérie,
Par les bons pères fut bâtie,
Femme était qui n'y courut,
Qui ne s'en mît, et qui ne crut
Par ce moyen être sauvée :
Puis quand leur foi fut éprouvée,
On vint au véritable point ;
Frère André ne marchanda point ;
Et leur fit ce beau petit prêche :
Si quelque chose vous empêche
D'aller tout droit en paradis,
C'est d'épargner pour vos maris,
Un bien dont ils n'ont plus que faire,
Quand ils ont pris leur nécessaire ;
Sans que jamais il vous ait plu
Nous faire part du superflu.
Vous me direz que notre usage
Répugne aux dons du mariage ;
Nous l'avouons, et Dieu merci
Nous n'aurions que voir en ceci,
Sans le soin de vos consciences.
La plus griève des offenses,
C'est d'être ingrate : Dieu l'a dit.
Pour cela Satan fut maudit.
Prenez-y garde ; et de vos restes
Rendez grâce aux bontés célestes,
Nous laissant dîmer sur un bien,
Qui ne vous coûte presque rien.
C'est un droit, ô troupe fidèle,
Qui vous témoigne notre zèle ;
Droit authentique et bien signé,
Que les papes nous ont donné ;
Droit enfin, et non pas aumône :
Toute femme doit en personne
S'en acquitter trois fois le mois
Vers les frères catalanois.
Cela fonde sur l'Ecriture,
Car il n'est bien dans la nature,
(Je le répète, écoutez-moi)
Qui ne subisse cette loi
De reconnaissance et d'hommage :
Or les oeuvres du mariage,
Etant un bien, comme savez
Où savoir chacune devez,
Il est clair que dîme en est due.
Cette dîme sera reçue
Selon notre petit pouvoir.
Quelque peine qu'il faille avoir,
Nous la prendrons en patience :
N'en faites point de conscience ;
Nous sommes gens qui n'avons pas
Toutes nos aises ici-bas.
Au reste, il est bon qu'on vous dise,
Qu'entre la chair et la chemise
Il faut cacher le bien qu'on fait :
Tout ceci doit être secret,
Pour vos maris et pour tout autre.
Voici trois mots d'un bon apôtre
Qui font à notre intention :
Foi, charité, discrétion.
Frère André par cette éloquence
Satisfit fort son audience,
Et passa pour un Salomon,
Peu dormirent à son sermon.
Chaque femme, ce dit l'histoire
Garda très bien dans sa mémoire,
Et mieux encor dedans son coeur,
Le discours du prédicateur.
Ce n'est pas tout, il s'exécute :
Chacune accourt ; grande dispute
A qui la première paiera.
Mainte bourgeoise murmura
Qu'au lendemain on l'eût remise.
La gent qui n'aime pas la bise
Ne sachant comme renvoyer
Cet escadron prêt à payer,
Fut contrainte enfin de leur dire :
De par Dieu souffrez qu'on respire,
C'en est assez pour le présent ;
On ne peut faire qu'en faisant.
Réglez votre temps sur le nôtre ;
Aujourd'hui l'une, et demain l'autre.
Tout avec ordre et croyez-nous :
On en va mieux quand on va doux.
Le sexe suit cette sentence.
Jamais de bruit pour la quittance,
Trop bien quelque collation
Et le tout par dévotion.
Puis de trinquer à la commère.
Je laisse à penser quelle chère
Faisait alors frère Frappart,
Tel d'entre eux avait pour sa part
Dix jeunes femmes bien payantes,
Frisques, gaillardes, attrayantes.
Tel aux douze et quinze passait.
Frère Roc à vingt se chaussait.
Tant et si bien que les donzelles,
Pour se montrer plus ponctuelles,
Payaient deux fois assez souvent :
Dont il avînt que le couvent,
Las enfin d'un tel ordinaire,
Après avoir à cette affaire
Vaqué cinq ou six mois entiers,
Eût fait crédit bien volontiers :
Mais les donzelles scrupuleuses,
De s'acquitter étaient soigneuses,
Croyant faillir en retenant
Un bien à l'ordre appartenant.
Point de dîmes accumulées :
Il s'en trouva de si zélées,
Que par avance elles payaient.
Les beaux pères n'expédiaient
Que les fringantes et les belles,
Enjoignant aux sempiternelles
De porter en bas leur tribut :
Car dans ces dîmes de rebut
Les lais trouvaient encore à frire
Bref à peine il se pourrait dire
Avec combien de charité
Le tout était exécuté.
Il avint qu'une de la bande,
Qui voulait porter son offrande,
Un beau soir, en chemin faisant,
Et son mari la conduisant,
Lui dit : Mon Dieu, j'ai quelque affaire
Là dedans avec certain frère,
Ce sera fait dans un moment.
L'époux répondit brusquement :
Quoi ? quelle affaire ? êtes-vous folle ?
Il est minuit sur ma parole :
Demain vous direz vos pêchés :
Tous les bons pères sont couchés.
Cela n'importe, dit la femme ;
Et par Dieu si, dit-il, Madame,
Je tiens qu'il importe beaucoup ;
Vous ne bougerez pour ce coup.
Qu'avez-vous fait, et quelle offense
Presse ainsi votre conscience ?
Demain matin j'en suis d'accord.
Ah ! Monsieur, vous me faites tort,
Reprit-elle, ce qui me presse,
Ce n'est pas d'aller à confesse,
C'est de payer ; car si j'attends,
Je ne le pourrai de longtemps ;
Le frère aura d'autres affaires.
Quoi payer ? La dîme aux bons pères.
Quelle dîme ? Savez-vous pas ?
Moi je le sais ! c'est un grand cas,
Que toujours femme aux moines donne.
Mais cette dîme, ou cette aumône,
La saurai-je point à la fin ?
Voyez, dit-elle, qu'il est fin,
N'entendez-vous pas ce langage ?
C'est des oeuvres de mariage.
Quelles oeuvres ? reprit l'époux.
Et là, Monsieur, c'est ce que nous. . .
Mais j'aurais payé depuis l'heure.
Vous êtes cause qu'en demeure
Je me trouve présentement ;
Car toujours je suis coutumière
De payer toute la première.
L'époux rempli d'étonnement,
Eut cent pensers en un moment
Il ne sut que dire et que croire.
Enfin pour apprendre l'histoire,
Il se tut, il se contraignit,
Du secret sans plus se plaignit ;
Par tant d'endroits tourna sa femme,
Qu'il apprit que mainte autre dame
Payait la même pension :
Ce lui fut consolation.
Sachez, dit la pauvre innocente,
Que pas une n'en est exempte :
Votre Soeur paie à frère Aubry ;
La baillie au père Fabry ;
Son Altesse à frère Guillaume,
Un des beaux moines du royaume :
Moi qui paie à frère Girard,
Je voulais lui porter ma part.
Que de maux la langue nous cause !
Quand ce mari sut toute chose,
Il résolut premièrement
D'en avertir secrètement
Monseigneur, puis les gens de ville ;
Mais comme il était difficile
De croire un tel cas dès l'abord,
Il voulut avoir le rapport
Du drôle à qui payait sa femme.
Le lendemain devant la dame
Il fait venir frère Girard ;
Lui porte à la gorge un poignard ;
Lui fait conter tout le mystère :
Puis ayant enfermé ce frère
A double clef, bien garrotté,
Et la dame d'autre côté,
Il va partout conter sa chance.
Au logis du prince il commence ;
Puis il descend chez l'échevin ;
Puis il fait sonner le tocsin.
Toute la ville en est troublée.
On court en foule à l'assemblée ;
Et le sujet de la rumeur,
N'est point su du peuple dîmeur.
Chacun opine à la vengeance.
L'un dit qu'il faut en diligence
Aller massacrer ces cagots ;
L'autre dit qu'il faut de fagots
Les entourer dans leur repaire,
Et brûler gens et monastère.
Tel veut qu'ils soient à l'eau jetés,
Dedans leurs frocs empaquetés ;
Afin que cette pépinière,
Flottant ainsi sur la rivière,
S'en aille apprendre à l'univers,
Comment on traite les pervers.
Tel invente un autre supplice,
Et chacun selon son caprice.
Bref tous conclurent à la mort :
L'avis du feu fut le plus fort.
On court au couvent tout à l'heure :
Mais, par respect de la demeure,
L'arrêt ailleurs s'exécuta :
Un bourgeois sa grange prêta.
La penaille, ensemble enfermée,
Fut en peu d'heures consumée,
Les maris sautants alentour,
Et dansants au son du tambour.
Rien n'échappa de leur colère,
Ni moinillon, ni béat père.
Robes, manteaux, et cocluchons,
Tout fut brûlé comme cochons.
Tous périrent dedans les flammes.
Je ne sais ce qu'on fit des femmes.
Pour le pauvre frère Girard,
Il avait eu son fait à part.

Le berceau

Nouvelle tirée de Boccace
Non loin de Rome un hôtelier était
Sur le chemin qui conduit à Florence :
Homme sans bruit, et qui ne se piquait
De recevoir gens de grosse dépense
Même chez lui rarement on gîtait
Sa femme était encor de bonne affaire,
Et ne passait de beaucoup les trente ans.
Quant au surplus, ils avaient deux enfants ;
Garçon d'un an, fille en âge d'en faire.
Comme il arrive, en allant et venant,
Pinucio jeune homme de famille,
Jeta si bien les yeux sur cette fille,
Tant la trouva gracieuse et gentille,
D'esprit si doux, et d'air tant attrayant,
Qu'il s'en piqua : très bien le lui sut dire ;
Muet était, elle sourde non plus :
Dont il avint qu'il sauta par-dessus
Ces longs soupirs, et tout ce vain martyre.
Se sentir pris, parler, être écouté,
Ce fut tout un, car la difficulté
Ne gisait pas à plaire à cette belle :
Pinuce était gentilhomme bien fait ;
Et jusque-là la fille n'avait fait
Grand cas des gens de même étoffe qu'elle.
Non qu'elle crut pouvoir changer d'état ;
Mais elle avait, nonobstant son jeune âge,
Le coeur trop haut, le goût trop délicat,
Pour s'en tenir aux amours de village.
Colette donc (ainsi l'on l'appelait)
En mariage à l'envi demandée,
Rejetait l'un, de l'autre ne voulait ;
Et n'avait rien que Pinuce en l'idée.
Longs pourparlers avecque son amant
N'étaient permis ; tout leur faisait obstacle.
Les rendez-vous et le soulagement
Ne se pouvaient à moins que d'un miracle.
Cela ne fit qu'irriter leurs esprits.
Ne gênez point, je vous en donne avis,
Tant vos enfants, Ô vous pères et mères ;
Tant vos moitiés, vous époux et maris ;
C'est où l'amour fait le mieux ses affaires.
Pinucio, certain soir qu'il faisait
Un temps fort brun, s'en vient, en compagnie
D'un sien ami dans cette hôtellerie
Demander gîte. On lui dit qu'il venait
Un peu trop tard. Monsieur, ajouta l'hôte,
Vous savez bien comme on est à l'étroit
Dans ce logis ; tout est plein jusqu'au toit :
Mieux vous vaudrait passer outre, sans faute :
Ce gîte n'est pour gens de votre état.
N'avez-vous point encor quelque grabat,
Reprit l'amant, quelque coin de réserve ?
L'hôte repart : il ne nous reste plus
Que notre chambre, où deux lits sont tendus ;
Et de ces lits il n'en est qu'un qui serve
Aux survenants ; l'autre nous l'occupons.
Si vous voulez coucher de compagnie
Vous et Monsieur, nous vous hébergerons.
Pinuce dit : Volontiers ; je vous prie
Que l'on nous serve à manger au plus tôt.
Leur repas fait, on les conduit en haut.
Pinucio, sur l'avis de Colette,
Marque de l'oeil comme la chambre est faite.
Chacun couche, pour la belle on mettait
Un lit de camp : celui de l'hôte était
Contre le mur, à tenant de la porte ;
Et l'on avait placé de même sorte,
Tout vis-à-vis celui du survenant :
Entre les deux un berceau pour l'enfant ;
Et toutefois plus près du lit de l'hôte.
Cela fit faire une plaisante faute
A cet ami qu'avait notre galant.
Sur le minuit que l'hôte apparemment
Devait dormir, l'hôtesse en faire autant,
Pinucio qui n'attendait que l'heure,
Et qui comptait les moments de la nuit,
Son temps venu ne fait longue demeure,
Au lit de camp s'en va droit et sans bruit.
Pas ne trouva la pucelle endormie ;
J'en jurerais. Colette apprit un jeu
Qui comme on sait lasse plus qu'il n'ennuie
Trêve se fit ; mais elle dura peu :
Larcins d'amour ne veulent longue pause.
Tout à merveille allait au lit de camp ;
Quand cet ami qu'avait notre galant,
Pressé d'aller mettre ordre à quelque chose
Qu'honnêtement exprimer je ne puis,
Voulut sortir, et ne put ouvrir l'huis,
Sans enlever le berceau de sa place,
L'enfant avec, qu'il mit près de leur lit ;
Le détourner aurait fait trop de bruit.
Lui revenu, près de l'enfant il passe,
Sans qu'il daignât le remettre en son lieu ;
Puis se recouche, et quand il plut à Dieu
Se rendormit. Après un peu d'espace
Dans le logis je ne sais quoi tomba :
Le bruit fut grand ; l'hôtesse s'éveilla ;
Puis alla voir ce que ce pouvait être.
A son retour le berceau la trompa.
Ne le trouvant joignant le lit du maître :
Saint Jean, dit-elle en soi-même aussitôt,
J'ai pensé faire une étrange bévue :
Près de ces gens je me suis, peu s'en faut,
Remise au lit en chemise ainsi nue :
C'était pour faire un bon charivari.
Dieu soit loué que ce berceau me montre
Que c'est ici qu'est couché mon mari.
Disant ces mots, auprès de cet ami
Elle se met. Fol ne fut, n'étourdi,
Le compagnon dedans un tel rencontre :
La mit en oeuvre, et sans témoigner rien
Il fit époux ; mais il le fit trop bien.
Trop bien ! je faux ; et c'est tout le contraire .
Il le fit mal ; car qui le veut bien faire
Doit en besogne aller plus doucement.
Aussi l'hôtesse eut quelque étonnement :
Qu'à mon mari, dit-elle, et quelle joie
Le fait agir en homme de vingt ans ?
Prenons ceci, puisque Dieu nous l'envoie ;
Nous n'aurons pas toujours tel passe-temps.
Elle n'eut dit ces mots entre ses dents,
Que le galant recommence la fête.
La dame était de bonne emplette encor :
J'en ai, je crois, dit un mot dans l'abord :
Chemin faisant c'était fortune honnête.
Pendant cela Colette appréhendant
Être surprise avecque son amant,
Le renvoya le jour venant à poindre.
Pinucio voulant aller rejoindre
Son compagnon, tomba tout de nouveau
Dans cette erreur que causait le berceau ;
Et pour son lit il prit le lit de l'hôte.
Il n'y fut pas, qu'en abaissant sa voix,
(Gens trop heureux font toujours quelque faute)
Ami, dit-il, pour beaucoup je voudrois
Te pouvoir dire a quel point va ma joie.
Je te plains fort que le Ciel ne t'envoie
Tout maintenant même bonheur qu'à moi.
Ma foi Colette est un morceau de roi.
Si tu savais ce que vaut cette fille !
J'en ai bien vu ; mais de telle, entre nous,
Il n'en est point. C'est bien le cuir plus doux,
Le corps mieux fait, la taille plus gentille ;
Et des tétons ! je ne te dis pas tout.
Quoi qu'il en soit, avant que être au bout
Gaillardement six postes se sont faites ;
Six de bon compte, et ce ne sont sornettes.
D'un tel propos l'hôte tout étourdi,
D'un ton confus gronda quelques paroles.
L'hôtesse dit tout bas à cet ami,
Qu'elle prenait toujours pour son mari :
Ne reçois plus chez toi ces têtes folles.
N'entends-tu point comme ils sont en débat ?
En son séant l'hôte sur son grabat
S'étant levé, commence à faire éclat :
Comment, dit-il, d'un ton plein de colère,
Vous veniez donc ici pour cette affaire ?
Vous l'entendez ! et je vous sais bon gré
De vous moquer encor comme vous faites.
Prétendez, beau Monsieur que vous êtes,
En demeurer quitte à si bon marché ?
Quoi ! ne tient-il qu'à honnir des familles ?
Pour vos ébats nous nourrirons nos filles,
J'en suis d'avis. Sortez de ma maison :
Je jure Dieu que j'en aurai raison.
Et toi, coquine, il faut que je te tue.
A ce discours proféré brusquement,
Pinucio plus froid qu'une statue,
Resta sans pouls, sans voix, sans mouvement.
Chacun se tut l'espace d'un moment.
Colette entra dans des peurs nonpareilles.
L'hôtesse ayant reconnu son erreur,
Tint quelque temps le loup par les oreilles.
Le seul ami se souvint par bonheur
De ce berceau principe de la chose.
Adressant donc à Pinuce sa voix :
T'en tiendras-tu, dit-il, une autre fois ?
T'ai-je averti que le vin serait cause
De ton malheur ? tu sais que quand tu bois
Toute la nuit tu cours, tu te démènes,
Et vas contant mille chimères vaines,
Que tu te mets dans l'esprit en dormant
Reviens au lit. Pinuce au même instant
Fait le dormeur, poursuit le stratagème,
Que le mari prit pour argent comptant
Il ne fut pas jusqu'à l'hôtesse même
Qui n'y voulut aussi contribuer.
Près de sa fille elle alla se placer,
Et dans ce poste elle se sentit forte.
Par quel moyen, comment, de quelle sorte,
S'écria-t-elle, aurait-il pu coucher
Avec Colette, et la déshonorer ?
Je n'ai bougé toute nuit auprès d'elle
Elle n'a fait ni pis ni mieux que moi.
Pinucio nous l'allait donner belle.
L'hôte reprit : c'est assez ; je vous crois
On se leva, ce ne fut pas sans rire ;
Car chacun d'eux en avait sa raison.
Tout fut secret : et quiconque eut du bon
Par devers soi le garda sans rien dire.

Le Muletier

Nouvelle tirée de Boccace
Un roi lombard (les rois de ce pays
Viennent souvent s'offrir à ma mémoire)
Ce dernier-ci, dont parle en ses écrits
Maître Boccace auteur de cette histoire,
Portait le nom d'Agiluf en son temps.
Il épousa Teudelingue la Belle,
Veuve du roi dernier mort sans enfants,
Lequel laissa l'état sous la tutelle
De celui-ci, prince sage et prudent.
Nulle beauté n'était alors égale
A Teudelingue ; et la couche royale
De part et d'autre était assurément
Aussi complète, autant bien assortie
Qu'elle fut onc. Quand Messer Cupidon
En badinant fit choir de son brandon
Chez Agiluf, droit dessus l'écurie :
Sans prendre garde, et sans se soucier
En quel endroit ; dont avecque furie
Le feu se prit au coeur d'un muletier.
Ce muletier était homme de mine,
Et démentait en tout son origine,
Bien fait et beau, même ayant du bon sens.
Bien le montra ; car, s'étant de la reine
Amouraché, quand il eut quelque temps
Fait ses efforts et mis toute sa peine
Pour se guérir, sans pouvoir rien gagner,
Le compagnon fit un tour d'homme habile.
Maître ne sais meilleur pour enseigner
Que Cupidon ; l'âme la moins subtile
Sous sa férule apprend plus en un jour,
Qu'un maître es arts en dix ans aux écoles.
Aux plus grossiers par un chemin bien court
Il sait montrer les tours et les paroles.
Le présent conte en est un bon témoin.
Notre amoureux ne songeait près ni loin
Dedans l'abord à jouir de sa mie.
Se déclarer de bouche ou par écrit
N'était pas sûr. Si se mit dans l'esprit,
Mourut ou non, d'en passer son envie ;
Puisqu'aussi bien plus vivre ne pouvait ;
Et mort pour mort, toujours mieux lui valait,
Auparavant que sortir de la vie,
Eprouver tout, et tenter le hasard.
L'usage était chez le peuple lombard
Que quand le roi, qui faisait lit à part
(Comme tous font) voulait avec sa femme
Aller coucher, seul il se présentait,
Presque en chemise, et sur son dos n'avait
Qu'une simarre ; à la porte il frappait
Tout doucement ; aussitôt une dame
Ouvrait sans bruit ; et le roi lui mettait
Entre les mains la clarté qu'il portait ;
Clarté n'ayant grand'lueur ni grand'flamme
D'abord la dame éteignait en sortant
Cette clarté ; c'était le plus souvent
Une lanterne, ou de simples bougies.
Chaque royaume a ses cérémonies.
Le muletier remarqua celle-ci ;
Ne manqua pas de s'ajuster ainsi ;
Se présenta comme c'était l'usage,
S'étant caché quelque peu le visage.
La dame ouvrit dormant plus qu'à demi.
Nul cas n'était à craindre en l'aventure
Fors que le roi ne vînt pareillement.
Mais ce jour-là s'étant heureusement
Mis à chasser, force était que nature
Pendant la nuit cherchât quelque repos.
Le muletier frais, gaillard, et dispos,
Et parfumé, se coucha sans rien dire.
Un autre point, outre ce qu'avons dit,
(C'est qu'Agiluf, s'il avait en l'esprit
Quelque chagrin, soit touchant son empire,
Ou sa famille, ou pour quelque autre cas,
Ne sonnait mot en prenant ses ébats.
A tout cela Teudelingue était faite.
Notre amoureux fournit plus d'une traite.
Un muletier à ce jeu vaut trois rois.
Dont Teudelingue entra par plusieurs fois
En pensement, et crut que la colère
Rendait le prince outre son ordinaire
Plein de transport, et qu'il n'y songeait pas.
En ses présents le Ciel est toujours juste :
Il ne départ à gens de tous états
Mêmes talents. Un empereur auguste
A les vertus propres pour commander :
Un avocat sait les points décider :
Au jeu d'amour le muletier fait rage :
Chacun son fait ; nul n'a tout en partage.
Notre galant s'étant diligenté,
Se retira sans bruit et sans clarté,
Devant l'aurore. Il en sortait à peine,
Lorsqu'Agiluf alla trouver la reine ;
Voulut s'ébattre, et l'étonna bien fort.
Certes, Monsieur, je sais bien, lui dit-elle,
Que vous avez pour moi beaucoup de zèle ;
Mais de ce lieu vous ne faites encor
Que de sortir : même outre l'ordinaire
En avez pris, et beaucoup plus qu'assez.
Pour Dieu, Monsieur, je vous prie, avisez
Que ne soit trop ; votre santé m'est chère.
Le roi fut sage, et se douta du tour ;
Ne sonna mot, descendit dans la cour ;
Puis de la cour entra dans l'écurie
Jugeant en lui que le cas provenait
D'un muletier, comme l'on lui parlait .
Toute la troupe était lors endormie,
Fors le galant, qui tremblait pour sa vie.
Le roi n'avait lanterne ni bougie.
En tâtonnant il s'approcha de tous ;
Crut que l'auteur de cette tromperie
Se connaîtrait au battement du pouls.
Pas ne faillit dedans sa conjecture ;
Et le second qu'il tâta d'aventure
Etait son homme ; à qui d'émotion,
Soit pour la peur, ou soit pour l'action,
Le coeur battait, et le pouls tout ensemble.
Ne sachant pas où devait aboutir
Tout ce mystère, il feignait de dormir.
Mais quel sommeil ! le roi, pendant qu'il tremble,
En certain coin va prendre des ciseaux
Dont on coupait le crin à ses chevaux.
Faisons, dit-il, au galant une marque,
Pour le pouvoir demain connaître mieux.
Incontinent de la main du monarque
Il se sent tondre. Un toupet de cheveux
Lui fut coupé, droit vers le front du sire.
Et cela fait le prince se retire.
II oublia de serrer le toupet ;
Dont le galant s'avisa d'un secret
Qui d'Agiluf gâta le stratagème.
Le muletier alla sur l'heure même
En pareil lieu tondre ses compagnons.
Le jour venu, le roi vit ces garçons
Sans poil au front. Lors le prince en son âme :
Qu'est ceci donc ! qui croirait que ma femme
Aurait été si vaillante au déduit ?
Quoi Teudelingue a-t-elle cette nuit
Fourni d'ébat à plus de quinze ou seize ?
Autant en vit vers le front de tondus.
Or bien, dit-il, qui l'a fait si se taise :
Au demeurant qu'il n'y retourne plus.

L'Oraison de St Julien

Nouvelle tirée de Boccace
Beaucoup de gens ont une ferme foi
Pour les brevets, oraisons, et paroles .
Je me ris d'eux ; et je tiens, quant à moi
Que tous tels sorts sont recettes frivoles.
Frivoles sont ; c'est sans difficulté.
Bien est-il vrai, qu'auprès d'une beauté
Paroles ont des vertus non pareilles
Paroles font en amour des merveilles :
Tout coeur se laisse à ce charme amollir.
De tels brevets je veux bien me servir ;
Des autres non. Voici pourtant un conte,
Que l'oraison de Monsieur saint Julien
Renaud d'Ast produisit un grand bien.
S'il ne l'eût dite, il eût trouvé mécompte
A son argent, et mal passé la nuit.
Il s'en allait devers Câateau-Guillaume :
Quand trois quidams (bonnes gens, et sans bruit,
Ce lui semblait, tels qu'en tout un royaume
Il n'aurait cru trois aussi gens de bien)
Quand n'ayant dis-je aucun soupçon de rien,
Ces trois quidams tout pleins de courtoisie,
Après l'abord, et l'ayant salué
Fort humblement : Si notre compagnie,
Lui dirent-ils, vous pouvait être à gré,
Et qu'il vous plût achever cette traite
Avecque nous, ce nous serait honneur.
En voyageant, plus la troupe est complète,
Mieux elle vaut ; c'est toujours le meilleur.
Tant de brigands infectent la province,
Que l'on ne sait à quoi songe le prince
De le souffrir : mais quoi les malvivants
Seront toujours. Renaud dit à ces gens
Que volontiers. Une lieue étant faite,
Eux discourant, pour tromper le chemin
De chose et d'autre, ils tombèrent enfin
Sur ce qu'on dit de la vertu secrète
De certains mots, caractères, brevets,
Dont les aucuns ont de très bons effets.
Comme de faire aux insectes la guerre,
Charmer les loups, conjurer le tonnerre :
Ainsi du reste ; ou sans pact ni demi
(De quoi l'on soit pour le moins averti)
L'on se guérit, l'on guérit sa monture,
Soit du farcin, soit de la mémarchure ;
L'on fait souvent ce qu'un bon médecin
Ne saurait faire avec tout son latin.
Ces survenants de mainte expérience
Se vantaient tous ; et Renaud en silence
Les écoutait. Mais vous, ce lui dit-on,
Savez-vous point aussi quelque oraison ?
De tels secrets, dit-il, je ne me pique,
Comme homme simple, et qui vis à l'antique.
Bien vous dirai qu'en allant par chemin
J'ai certains mots que je dis au matin
Dessous le nom d'oraison ou d'antienne
De saint Julien ; afin qu'il ne m'avienne
De mal gîter : et j'ai même éprouvé
Qu'en y manquant cela m'est arrivé.
J'y manque peu : c'est un mal que j'évite
Par-dessus tous, et que je crains autant.
Et ce matin, Monsieur, l'avez-vous dite ?
Lui repartit l'un des trois en riant.
Oui, dit Renaud. Or bien, répliqua l'autre,
Gageons un peu quel sera le meilleur,
Pour ce jour d'hui, de mon gîte ou du vôtre
Il faisait lors un froid plein de rigueur
La nuit de plus était fort approchante,
Et la couchée encore assez distante
Renaud reprit : Peut-être ainsi que moi
Vous servez-vous de ces mots en voyage.
Point, lui dit l'autre ; et vous jure ma foi
Qu'invoquer saints n'est pas trop mon usage
Mais si je perds, je le pratiquerai.
En ce cas-là volontiers gagerai,
Reprit Renaud, et j'y mettrais ma vie
Pourvu qu'alliez en quelque hôtellerie ;
Car je n'ai la nulle maison d'ami.
Nous mettrons donc cette clause au pari,
Poursuivit-il, si l'avez agréable :
C'est la raison. L'autre lui répondit :
J'en suis d'accord ; et gage votre habit,
Votre cheval, la bourse au préalable ;
Sûr de gagner, comme vous allez voir.
Renaud dès lors put bien s'apercevoir
Que son cheval avait changé d'étable .
Mais quel remède ? en côtoyant un bois,
Le parieur ayant changé de voix :
Ca, descendez, dit-il, mon gentilhomme :
Votre oraison vous fera bon besoin.
Château-Guillaume est encore un peu loin.
Fallut descendre. Ils lui prirent en somme
Chapeau, casaque, habit, bourse, et cheval ;
Bottes aussi. Vous n'aurez tant de mal
D'aller à pied, lui dirent les perfides.
Puis de chemin (sans qu'ils prissent de guides)
Changeant tous trois, ils furent aussitôt
Perdus de vue ; et le pauvre Renaud,
En caleçons, en chausses, en chemise,
Mouillé, fangeux, ayant au nez la bise
Va tout dolent ; et craint avec raison
Qu'il n'ait ce coup, malgré son oraison,
Très mauvais gîte ; hormis qu'en sa valise
Il espérait. car il est à noter,
Qu'un sien valet contraint de s'arrêter
Pour faire mettre un fer à sa monture,
Devait le joindre. Or il ne le fit pas.
Et ce fut là le pis de l'aventure.
Le drôle ayant vu de loin tout le cas,
(Comme valets souvent ne valent guères)
Prend à côté, pourvoit à ses affaires,
Laisse son maître, à travers champs s'enfuit,
Donne des deux, gagne devant la nuit
Château-Guillaume, et dans l'hôtellerie
La plus fameuse, enfin la mieux fournie,
Attend Renaud près d'un foyer ardent,
Et fait tirer du meilleur cependant.
Son maître était jusqu'au cou dans les boues ;
Pour en sortir avait fort à tirer.
Il acheva de se désespérer,
Lorsque la neige en lui donnant aux joues
Vint à flocons, et le vent qui fouettait.
Au prix du mal que le pauvre homme avait,
Gens que l'on pend sont sur des lits de roses.
Le sort se plaît à dispenser les choses
De la façon : c'est tout mal ou tout bien.
Dans ses faveurs il n'a point de mesures :
Dans son courroux de même il n'omet rien
Pour nous mater : témoin les aventures
Qu'eut cette nuit Renaud qui n'arriva
Qu'une heure après qu'on eût fermé la porte.
Du pied du mur enfin il s'approcha.
Dire comment, je n'en sais pas la sorte.
Son bon destin, par un très grand hasard,
Lui fit trouver une petite avance
Qu'avait un toit ; et ce toit faisait part
D'une maison voisine du rempart.
Renaud ravi de ce peu d'allégeance
Se met dessous. Un bonheur, comme on dit,
Ne vient point seul : quatre ou cinq brins de paille
Se rencontrant, Renaud les étendit.
Dieu soit loué dit-il, voilà mon lit.
Pendant cela le mauvais temps l'assaille
De toutes parts : il n'en peut presque plus.
Transi de froid, immobile, et perclus,
Au désespoir bientôt il s'abandonne,
Claque des dents, se plaint, tremble, et frissonne
Si hautement que quelqu'un l'entendit.
Ce quelqu'un-là c'était une servante ;
Et sa maîtresse une veuve galante
Qui demeurait au logis que j'ai dit ;
Pleine d'appas, jeune, et de bonne grâce.
Certain marquis gouverneur de la place
L'entretenait ; et de peur être vu,
Trouble, distrait, enfin interrompu
Dans son commerce au logis de la dame,
Il se rendait souvent chez cette femme,
Par une porte aboutissante aux champs ;
Allait, venait, sans que ceux de la ville
En sussent rien ; non pas même ses gens
Je m'en étonne ; et tout plaisir tranquille
N'est d'ordinaire un plaisir de marquis :
Plus il est su, plus il leur semble exquis.
Or il avint que la même soirée
Ou notre Job sur la paille étendu
Tenait déjà sa fin toute assurée,
Monsieur était de Madame attendu :
Le souper prêt, la chambre bien parée ;
Bons restaurants, champignons, et ragoûts ;
Bains, et parfums, matelas blancs et mous ;
Vin du coucher ; toute l'artillerie
De Cupidon, non pas le langoureux,
Mais celui-là qui n'a fait en sa vie
Que de bons tours, le patron des heureux,
Des jouissants. Etant donc la donzelle
Prête à bien faire, avint que le marquis
Ne put venir : elle en reçût l'avis
Par un sien page, et de cela la belle
Se consola : tel était leur marché.
Renaud y gagne : il ne fut écouté
Plus d'un moment, que pleine de bonté
Cette servante et confite en tendresse,
Par aventure autant que sa maîtresse,
Dit à la veuve : Un pauvre souffreteux
Se plaint là-bas, le froid est rigoureux,
Il peut mourir : vous plaît pas, Madame,
Qu'en quelque coin l'on le mette à couvert ?
Oui, je le veux, répondit cette femme.
Ce galetas qui de rien ne nous sert
Lui viendra bien : dessus quelque couchette
Vous lui mettrez un peu de paille nette ;
Et là dedans il faudra l'enfermer :
De nos reliefs vous le ferez souper
Auparavant, puis l'envoyez coucher.
Sans cet arrêt c'était fait de la vie
Du bon Renaud. On ouvre, il remercie ;
Dit qu'on l'avait retiré du tombeau,
Conte son cas, reprend force et courage :
Il était grand, bien fait, beau personnage,
Ne semblait même homme en amour nouveau,
Quoiqu'il fût jeune. Au reste il avait honte
De sa misère, et de sa nudité :
L'Amour est nu, mais il n'est pas crotté.
Renaud dedans, la chambrière monte ;
Et va conter le tout de point en point.
La dame dit : Regardez si j'ai point
Quelque habit d'homme encor dans mon armoire :
Car feu Monsieur en doit avoir laissé.
Vous en avez, j'en ai bonne mémoire,
Dit la servante. Elle eut bientôt trouvé
Le vrai ballot. Pour plus d'honnêteté,
La dame ayant appris la qualité
De Renaud d'Ast (car il était nommé)
Dit qu'on le mît au bain chauffé pour elle.
Cela fut fait ; il ne se fit prier.
On le parfume avant que l'habiller.
Il monte en haut, et fait à la donzelle
Son compliment, comme homme bien appris.
On sert enfin le souper du marquis.
Renaud mangea tout ainsi qu'un autre homme ;
Même un peu mieux ; la chronique le dit :
On peut à moins gagner de l'appétit.
Quant à la veuve, elle ne fit en somme
Que regarder, témoignant son désir :
Soit que déjà l'attente du plaisir
L'eut disposée ; ou soit par sympathie ;
Ou que la mine, ou bien le procédé
De Renaud d'Ast eussent son coeur touché.
De tous cotes se trouvant assaillie,
Elle se rend aux semonces d'Amour.
Quand je ferai, disait-elle, ce tour,
Qui l'ira dire ? il n'y va rien du nôtre.
Si le marquis est quelque peu trompé,
Il le mérite, et doit l'avoir gagné,
Ou gagnera ; car c'est un bon apôtre.
Homme pour homme et pêché pour pêché
Autant me vaut celui-ci que cet autre.
Renaud n'était si neuf qu'il ne vît bien
Que l'oraison de Monsieur saint Julien
Ferait effet, et qu'il aurait bon gîte.
Lui hors de table, on dessert au plus vite.
Les voilà seuls : et pour le faire court
En beau début. La dame était mise
En un habit à donner de l'amour.
La négligence à mon gré si requise,
Pour cette fois fut sa dame d'atour.
Point de clinquant, jupe simple et modeste
Ajustement moins superbe que leste ;
Un mouchoir noir de deux grands doigts trop court
Sous ce mouchoir ne sais quoi fait au tour :
Par la Renaud s'imagina le reste.
Mot n'en dirai : mais je n'omettrai point
Qu'elle était jeune, agréable, et touchante
Blanche surtout, et de taille avenante
Trop ni trop peu de chair et d'embonpoint.
A cet objet qui n'eût eu l'âme émue !
Qui n'eût aimé ! qui n'eût eu des désirs
Un philosophe, un marbre, une statue,
Auraient senti comme nous ces plaisirs.
Elle commence à parler la première,
Et fait si bien que Renaud s'enhardit
Il ne savait comme entrer en matière ;
Mais pour l'aider la marchande lui dit :
Vous rappelez en moi la souvenance
D'un qui s'est vu mon unique souci :
Plus je vous vois, plus je crois voir aussi
L'air et le port, les yeux, la remembrance
De mon époux ; que Dieu lui fasse paix :
Voilà sa bouche, et voilà tous ses traits.
Renaud reprit : ce m'est beaucoup de gloire
Mais vous, Madame, à qui ressemblez-vous ?
A nul objet, et je n'ai point mémoire
D'en avoir vu qui m'ait semblé si doux.
Nulle beauté n'approche de la vôtre.
Or me voici d'un mal chu dans un autre :
Je transissais, je brûle maintenant.
Lequel vaut mieux ? La belle l'arrêtant,
S'humilia pour être contredite.
C'est une adresse à mon sens non petite.
Renaud poursuit : louant par le menu
Tout ce qu'il voit, tout ce qu'il n'a point vu
Et qu'il verrait volontiers si la belle
Plus que le droit ne se montrait cruelle.
Pour vous louer comme vous méritez,
Ajouta-t-il, et marquer les beautés
Dont j'ai la vue avec le coeur frappée,
(Car près de vous l'un et l'autre s'ensuit)
Il faut un siècle, et je n'ai qu'une nuit,
Qui pourrait être encor mieux occupée.
Elle sourit ; il n'en fallut pas plus.
Renaud laissa les discours superflus.
Le temps est cher en amour comme en guerre.
Homme mortel ne s'est vu sur la terre
De plus heureux ; car nul point n'y manquait.
On résista tout autant qu'il fallait,
Ni plus ni moins, ainsi que chaque belle
Sait pratiquer, pucelle ou non pucelle.
Au demeurant je n'ai pas entrepris
De raconter tout ce qu'il obtint d'elle ;
Menu détail, baisers donnés et pris,
La petite oie ; enfin ce qu'on appelle
En bon français les préludes d'amour ;
Car l'un et l'autre y savait plus d'un tour.
Au souvenir de l'état misérable
Ou s était vu le pauvre voyageur
On lui faisait toujours quelque faveur :
Voilà, disait la veuve charitable,
Pour le chemin, voici pour les brigands,
Puis pour la peur puis pour le mauvais temps ;
Tant que le tout pièce à pièce s'efface.
Qui ne voudrait se racquitter ainsi ?
Conclusion, que Renaud sur la place
Obtint le don d'amoureuse merci.
Les doux propos recommencent ensuite
Puis les baisers, et puis la noix confite.
On se coucha. La dame ne voulant
Qu'il s'allât mettre au lit de sa servante
Le mit au sien, ce fut fait prudemment
En femme sage, en personne galante.
Je n'ai pas su ce qu'étant dans le lit
Ils avaient fait ; mais comme avec l'habit
On met à part certain reste de honte,
Apparemment le meilleur de ce conte
Entre deux draps pour Renaud se passa.
Là plus à plein il se récompensa
Du mal souffert, de la perte arrivée
De quoi s'étant la veuve bien trouvée
Il fut prié de la venir revoir :
Mais en secret ; car il fallait pourvoir
Au gouverneur . La belle non contente
De ses faveurs, étala son argent.
Renaud n'en prit qu'une somme bastante
Pour regagner son logis promptement.
Il s'en va droit à cette hôtellerie,
Ou son valet était encore au lit.
Renaud le rosse, et puis change d'habit,
Ayant trouvé sa valise garnie.
Pour le combler, son bon destin voulut
Qu'on attrapât les quidams ce jour même.
Incontinent chez le juge il courut :
Il faut user de diligence extrême
En pareil cas ; car le greffe tient bon,
Quand une fois il est saisi des choses
C'est proprement la caverne au Lion.
Rien n'en revient : là les mains ne sont closes
Pour recevoir, mais pour rendre trop bien :
Fin celui-là qui n'y laisse du sien.
Le procès fait une belle potence
A trois côtés fut mise en plein marché :
L'un des quidams harangua l'assistance
Au nom de tous, et le trio branché
Mourut contrit et fort bien confessé.
Après cela, doutez de la puissance
Des oraisons, dira quelqu'un de ceux
Dont j'ai parlé ; trois gens par devers eux
Ont un roussin, et nombre de pistoles
Qui n'aurait cru ces gens-là fort chanceux ?
Aussi font-ils flores et caprioles,
(Mauvais présage) et tout gais et joyeux
Sont sur le point de partir leur chevance,
Lorsqu'on les vient prier d'une autre danse.
En contr'échange un pauvre malheureux
S'en va périr selon toute apparence,
Quand sous la main lui tombe une beauté
Dont un prélat se serait contenté.
Il recouvra son argent, son bagage,
Et son cheval, et tout son équipage,
Et grâce à Dieu et Monsieur saint Julien,
Eut une nuit qui ne lui coûta tien.

La servante justifiée

Nouvelle tirée des Contes de la Reine de Navarre
Boccace n'est le seul qui me fournit.
Je vas parfois en une autre boutique.
Il est bien vrai que ce divin esprit
Plus que pas un me donne de pratique .
Mais comme il faut manger de plus d'un pain,
Je puise encore en un vieux magasin ;
Vieux, des plus vieux, ou nouvelles nouvelles
Sont jusqu'à cent, bien déduites et belles
Pour la plupart, et de très bonne main.
Pour cette fois la reine de Navarre,
D'un c'était moi naïf autant que rare,
Entretiendra dans ces vers le lecteur.
Voici le fait, quiconque en soit l'auteur.
J'y mets du mien selon les occurrences :
C'est ma coutume ; et sans telles licences
Je quitterais la charge de conteur.
Un homme donc avait belle servante.
Il la rendit au jeu d'amour savante.
Elle était fille à bien armer un lit,
Pleine de suc, et donnant appétit ;
Ce qu'on appelle en français bonne robe .
Par un beau jour cet homme se dérobe
D'avec sa femme ; et d'un très grand matin
S'en va trouver sa servante au jardin.
Elle faisait un bouquet pour madame :
C'était sa fête. Voyant donc de la femme
Le bouquet fait, il commence à louer
L'assortiment ; tâche à s'insinuer :
S'insinuer en fait de chambrière,
C'est proprement couler sa main au sein :
Ce qui fut fait. La servante soudain
Se défendit : mais de quelle manière ?
Sans rien gâter : c'était une façon
Sur le marché ; bien savait sa leçon.
La belle prend les fleurs qu'elle avait mises
En un monceau, les jette au compagnon.
Il la baisa pour en avoir raison :
Tant et si bien qu'ils en vinrent aux prises.
En cet étrif la servante tomba.
Lui d'en tirer aussitôt avantage.
Le malheur fut que tout ce beau ménage
Fut découvert d'un logis près de là.
Nos gens n'avaient pris garde à cette affaire.
Une voisine aperçut le mystère.
L'époux la vit, je ne sais pas comment.
Nous voilà pris, dit-il à sa servante.
Notre voisine est languarde et méchante.
Mais ne soyez en crainte aucunement.
Il va trouver sa femme en ce moment :
Puis fait si bien que s'étant éveillée
Elle se lève ; et sur l'heure habillée,
Il continue à jouer son rolet :
Tant qu'a dessein d'aller faire un bouquet,
La pauvre épouse au jardin est menée.
Là fut par lui procèdé de nouveau.
Même débat, même jeu se commence.
Fleurs de voler ; tétons d'entrer en danse.
Elle y prit goût ; le jeu lui sembla beau.
Somme, que l'herbe en fut encor froissée.
La pauvre dame alla l'après-dînée
Voir sa voisine, à qui ce secret-là
Chargeait le coeur : elle se soulagea
Tout dès l'abord : Je ne puis, ma commère,
Dit cette femme avec un front sévère,
Laisser passer sans vous en avertir
Ce que j'ai vu. Voulez-vous vous servir
Encor longtemps d'une fille perdue ?
A coups de pied, si j'étais que de vous,
Je l'envoyrais ainsi qu'elle est venue.
Comment ! elle est aussi brave que nous.
Or bien, je sais celui de qui procède
Cette piaffe : apportez-y remède
Tout au plus tôt : car je vous avertis
Que ce matin étant à la fenêtre,
(Ne sais pourquoi) j'ai vu de mon logis
Dans son jardin votre mari paraître,
Puis la galande ; et tous deux se sont mis
A se jeter quelques fleurs à la tête.
Sur ce propos l'autre l'arrêta coi.
Je vous entends, dit-elle ; c'était moi.
LA VOISINE
Voire ! écoutez le reste de la fête :
Vous ne savez où je veux en venir.
Les bonnes gens se sont pris à cueillir
Certaines fleurs que baisers on appelle.
LA FEMME
C'est encor moi que vous preniez pour elle.
LA VOISINE
Du jeu des fleurs à celui des tétons
Ils sont passés : après quelques façons
A pleine main l'on les a laissé prendre.
LA FEMME
Et pourquoi non ? c'était moi : votre époux
N'a-t-il donc pas les mêmes droits sur vous ?
LA VOISINE
Cette personne enfin sur l'herbe tendre
Est trébuchée, et, comme je le croi,
Sans se blesser ; vous riez ?
LA FEMME
C'était moi.
LA VOISINE
Un cotillon a paré la verdure.
LA FEMME
C'était le mien.
LA VOISINE
Sans vous mettre en courroux :
Qui le portait de la fille ou de vous ?
C'est là le point : car monsieur votre époux
Jusques au bout a poussé l'aventure.
LA FEMME
Qui ? c'était moi : votre tête est bien dure.
LA VOISINE
Ah ; c'est assez. Je ne m'informe plus :
J'ai pourtant l'oeil assez bon ce me semble :
J'aurais juré que je les avais vus
En ce lieu-là se divertir ensemble.
Mais excusez ; et ne la chassez pas.
LA FEMME
Pourquoi chasser ? j'en suis très bien servie.
LA VOISINE
Tant pis pour vous : c'est justement le cas.
Vous en tenez, ma commère m'amie.

La gageure des trois commères

Où sont deux nouvelles tirées de Boccace
Après bon vin, trois commères un jour
S'entretenaient de leurs tours et prouesses.
Toutes avaient un ami par amour
Et deux étaient au logis les maîtresses .
L'une disait : J'ai le roi des maris :
Il n'en est point de meilleur dans Paris.
Sans son congé je vas partout m'ébattre.
Avec ce tronc j'en ferais un plus fin.
Il ne faut pas se lever trop matin
Pour lui prouver que trois et deux font quatre.
Par mon serment, dit une autre aussitôt
Si je l'avais j'en ferais une étrenne ;
Car quant à moi, du plaisir ne me chaut,
A moins qu'il soit mêlé d'un peu de peine.
Votre époux va tout ainsi qu'on le mène :
Le mien n'est tel. J'en rends grâces à Dieu.
Bien saurait prendre et le temps et le lieu,
Qui tromperait à son aise un tel homme.
Pour tout cela ne croyez que je chomme.
Le passe-temps en est d'autant plus doux :
Plus grand en est l'amour des deux parties.
Je ne voudrais contre aucune de vous,
Qui vous vantez d'être si bien-loties,
Avoir troqué de galant ni époux.
Sur ce débat la troisième commère
Les mit d'accord ; car elle fut d'avis
Qu'Amour se plaît avec les bons maris,
Et veut aussi quelque peine légère .
Ce point vuidé, le propos s'échauffant,
Et d'en conter toutes trois triomphant,
Celle-ci dit : Pourquoi tant de paroles ?
Voulez-vous voir qui l'emporte de nous ?
Laissons à part les disputes frivoles :
Sur nouveaux frais attrapons nos époux.
Le moins bon tour payera quelque amende.
Nous le voulons, c'est ce que l'on demande,
Dirent les deux. Il faut faire serment,
Que toutes trois, sans nul déguisement,
Rapporterons, l'affaire étant passée,
Le cas au vrai ; puis pour le jugement
On en croira la commère Macée.
Ainsi fut dit, ainsi l'on l'accorda.
Voici comment chacune y procéda.
Celle des trois qui plus était contrainte,
Aimait alors un beau jeune garçon,
Frais, délicat, et sans poil au menton :
Ce qui leur fit mettre en jeu cette feinte.
Les pauvres gens n'avaient de leurs amours
Encor joui, sinon par échappées :
Toujours fallait forger de nouveaux tours,
Toujours chercher des maisons empruntées
Pour plus à l'aise ensemble se jouer.
La bonne dame habille en chambrière
Le jouvenceau, qui vient pour se louer,
D'un air modeste, et baissant la paupière.
Du coin de l'oeil époux le regardait,
Et dans son coeur déjà se proposait
De rehausser le linge de la fille.
Bien lui semblait, en la considérant,
N'en avoir vu jamais de si gentille.
On la retient ; avec peine pourtant :
Belle servante, et mari vert galant,
C'était matière à feindre du scrupule.
Les premiers jours le mari dissimule,
Détourne l'oeil, et ne fait pas semblant
De regarder sa servante nouvelle ;
Mais tôt après il tourna tant la belle,
Tant lui donna, tant encor lui promit,
Qu'elle feignit à la fin de se rendre ;
Et de jeu fait, à dessein de le prendre,
Un certain soir la galande lui dit :
Madame est mal, et seule elle veut être
Pour cette nuit : incontinent le maître
Et la servante ayant fait leur marché
S'en vont au lit, et le drôle couche,
Elle en cornette, et dégrafant sa jupe,
Madame vient : qui fut bien empêché,
Ce fut époux cette fois pris pour dupe.
Oh, oh, lui dit la commère en riant,
Votre ordinaire est donc trop peu friand
A votre goût ; et par saint Jean, beau sire,
Un peu plus tôt vous me le deviez dire :
J'aurais chez moi toujours eu des tendrons.
De celui-ci pour certaines raisons
Vous faut passer ; cherchez autre aventure.
Et vous, la belle au dessein si gaillard,
Merci de moi, chambrière d'un liard,
Je vous rendrai plus noire qu'une mûre.
Il vous faut donc du même pain qu'à moi :
J'en suis d'avis ; non pourtant qu'il m'en chaille,
Ni qu'on ne puisse en trouver qui le vaille :
Grâces à Dieu, je crois avoir de quoi
Donner encore à quelqu'un dans la vue
Je ne suis pas à jeter dans la rue.
Laissons ce point ; je sais un bon moyen :
Vous n'aurez plus d'autre lit que le mien.
Voyez un peu ; dirait-on qu'elle y touche ?
Vite, marchons, que du lit où je couche
Sans marchander on prenne le chemin :
Vous chercherez vos besognes demain.
Si ce n'était le scandale et la honte,
Je vous mettrais dehors en cet état.
Mais je suis bonne, et ne veux point d'éclat :
Puis je rendrai de vous un très bon compte
A l'avenir, et vous jure ma foi
Que nuit et jour vous serez près de moi.
Qu'ai-je besoins de me mettre en alarmes,
Puisque je puis empêcher tous vos tours ?
La chambrière écoutant ce discours
Fait la honteuse, et jette une ou deux larmes ;
Prend son paquet, et sort sans consulter
Ne se le fait pas deux fois répéter ;
S'en va jouer un autre personnage ;
Fait au logis deux métiers tour à tour ;
Galant de nuit, chambrière de jour,
En deux façons elle a soin du ménage.
Le pauvre époux se trouve tout heureux
Qu'à si bon compte il en ait été quitte.
Lui couche seul, notre couple amoureux
D'un temps si doux à son aise profite.
Rien ne s'en perd ; et des moindres moments
Bons ménagers furent nos deux amants,
Sachant très bien que l'on n'y revient guères.
Voilà le tour de l'une des commères.
L'autre de qui le mari croyait tout,
Avecque lui sous un poirier assise,
De son dessein vint aisément à bout.
En peu de mots j'en vas conter la guise.
Leur grand valet près d'eux était debout,
Garçon bien fait, beau parleur, et de mise,
Et qui faisait les servantes trotter.
La dame dit : Je voudrais bien goûter
De ce fruit-là : Guillot, monte, et secoue
Notre poirier. Guillot monte à l'instant.
Grimpé qu'il est, le drôle fait semblant
Qu'il lui paraît que le mari se joue
Avec la femme ; aussitôt le valet
Frottant ses yeux comme étonné du fait :
Vraiment, Monsieur, commence-t-il à dire,
Si vous vouliez Madame caresser,
Un peu plus loin vous pouviez aller rire,
Et moi présent du moins vous en passer.
Ceci me cause une surprise extrême.
Devant les gens prendre ainsi vos ébats !
Si d'un valet vous ne faites nul cas,
Vous vous devez du respect à vous-même.
Quel taon vous point ? attendez à tantôt :
Ces privautés en seront plus friandes ;
Tout aussi bien, pour le temps qu'il vous faut
Les nuits d'été sont encore assez grandes.
Pourquoi ce lieu ? vous avez pour cela
Tant de bons lits, tant de chambres si belles.
La dame dit : Que conte celui- là ?
Je crois qu'il rêve : ou prend-il ces nouvelles ?
Qu'entend ce fol avecque ses ébats ?
Descends, descends, mon ami, tu verras.
Guillot descend. Hé bien, lui dit son maître,
Nous jouons-nous ?
GUILLOT
Non pas pour le présent.
LE MARI
Pour le présent ?
GUILLOT
Oui Monsieur, je veux être
Ecorché vif, si tout incontinent
Vous ne baisiez Madame sur l'herbette.
LA FEMME
Mieux te vaudrait laisser cette sornette ;
Je te le dis ; car elle sent les coups.
LE MARI
Non non, m'amie, il faut qu'avec les fous
Tout de ce pas par mon ordre on le mette.
GUILLOT
Est-ce être fou que de voir ce qu'on voit ?
LA FEMME
Et qu'as-tu vu ?
GUILLOT
J'ai vu, je le répète,
Vous et Monsieur qui dans ce même endroit
Jouiez tous deux au doux jeu d'amourette :
Si ce poirier n'est peut- être charmé.
LA FEMME
Voire, charmé ; tu nous fais un beau conte.
LE MARI
Je le veux voir ; vraiment faut que j'y monte :
Vous en saurez bientôt la vérité.
Le maître à peine est sur l'arbre monté,
Que le valet embrasse la maîtresse.
L'époux qui voit comme l'on se caresse
Crie, et descend en grand'hâte aussitôt.
Il se rompit le col, ou peu s'en faut,
Pour empêcher la suite de l'affaire :
Et toutefois il ne put si bien faire
Que son honneur ne reçût quelque échec.
Comment, dit-il, quoi même à mon aspect ?
Devant mon nez ? à mes yeux ? Sainte Dame,
Que vous faut-il ? qu'avez-vous ? dit la femme.
LE MARI
Oses-tu bien le demander encor ?
LA FEMME
Et pourquoi non ?
LE MARI
Pourquoi ? n'ai-je pas tort
De t'accuser de cette effronterie ?
LA FEMME
Ah ! C'en est trop, parlez mieux, je vous prie.
LE MARI
Quoi, ce coquin ne te caressait pas ?
LA FEMME
Moi ? vous rêvez.
LE MARI
D'où viendrait donc ce cas ?
Ai-je perdu la raison ou la vue ?
LA FEMME
Me croyez-vous de sens si dépourvue
Que devant vous je commisse un tel tour ?
Ne trouverais-je assez d'heures au jour
Pour m'égayer, si j'en avais envie ?
LE MARI
Je ne sais plus ce qu'il faut que j'y die.
Notre poirier m'abuse assurément.
Voyons encor. Dans le même moment
L'époux remonte, et Guillot recommence.
Pour cette fois le mari voit la danse
Sans se fâcher, et descend doucement.
Ne cherchez plus, leur dit-il, d'autres causes
C'est ce poirier, il est ensorcelé.
Puisqu'il fait voir de si vilaines choses
Reprit la femme, il faut qu'il soit brûlé.
Cours au logis ; dis qu'on le vienne abattre.
Je ne veux plus que cet arbre maudit
Trompe les gens. Le valet obéit.
Sur le pauvre arbre ils se mettent à quatre
Se demandant l'un l'autre sourdement
Quel si grand crime a ce poirier pu faire ?
La dame dit : Abattez seulement
Quant au surplus, ce n'est pas votre affaire.
Par ce moyen la seconde commère
Vint au-dessus de ce qu'elle entreprit.
Passons au tour que la troisième fit.
Les rendez-vous chez quelque bonne amie
Ne lui manquaient non plus que l'eau du puits.
Là tous les jours étaient nouveaux déduits.
Notre donzelle y tenait sa partie.
Un sien amant étant lors de quartier,
Ne croyant pas qu'un plaisir fut entier
S'il n'était libre, à la dame propose
De se trouver seuls ensemble une nuit.
Deux, lui dit-elle, et pour si peu de chose
Vous ne serez nullement éconduit.
Jà de par moi ne manquera l'affaire.
De mon mari je saurai me défaire
Pendant ce temps. Aussitôt fait que dit.
Bon besoin eut d'être femme d'esprit
Car pour époux elle avait pris un homme
Qui ne faisait en voyages grands frais ;
Il n'allait pas quérir pardons à Rome
Quand il pouvait en rencontrer plus près.
Tout au rebours de la bonne donzelle,
Qui pour montrer sa ferveur et son zèle,
Toujours allait au plus loin s'en pourvoir.
Pèlerinage avait fait son devoir
Plus d'une fois ; mais c'était le vieux style :
Il lui fallait, pour se faire valoir,
Chose qui fut plus rare et moins facile.
Elle s'attache à l'orteil dès ce soir
Un brin de fil, qui rendait à la porte
De la maison ; et puis se va coucher
Droit au côté d'Henriet Berlinguier
(On appelait son mari de la sorte. )
Elle fit tant qu'Henriet se tournant
Sentit le fil. Aussitôt il soupçonne
Quelque dessein, et sans faire semblant
D'être éveillé, sur ce fait il raisonne ;
Se lève enfin, et sort tout doucement,
De bonne foi son épouse dormant,
Ce lui semblait ; suit le fil dans la rue ;
Conclut de là que l'on le trahissait :
Que quelque amant que la donzelle avait,
Avec ce fil par le pied la tirait,
L'avertissant ainsi de sa venue :
Que la galande aussitôt descendait,
Tandis que lui pauvre mari dormait.
Car autrement pourquoi ce badinage ?
Il fallait bien que Messer Cocuage
Le visitât ; honneur dont à son sens
Il se serait passé le mieux du monde.
Dans ce penser il s'arme jusqu'aux dents ;
Hors la maison fait le guet et la ronde,
Pour attraper quiconque tirera
Le brin de fil. Or le lecteur saura
Que ce logis avait sur le derrière
De quoi pouvoir introduire l'ami :
Il le fut donc par une chambrière.
Tout domestique en trompant un mari
Pense gagner indulgence plénière.
Tandis qu'ainsi Berlinguier fait le guet,
La bonne dame, et le jeune muguet
En sont aux mains, et Dieu sait la manière.
En grand soulas cette nuit se passa.
Dans leurs plaisirs rien ne les traversa.
Tout fut des mieux grâces à la servante,
Qui fit si bien devoir de surveillante,
Que le galant tout à temps délogea.
Époux revint quand le jour approcha
Reprit sa place, et dit que la migraine
L'avait contraint d'aller coucher en haut
Deux jours après la commère ne faut
De mettre un fil ; Berlinguier aussitôt
L'ayant senti, rentre en la même peine
Court à son poste, et notre amant au sien.
Renfort de joie : on s'en trouva si bien,
Qu'encore un coup on pratiqua la ruse ;
Et Berlinguier prenant la même excuse
Sortit encore, et fit place à l'amant.
Autre renfort de tout contentement.
On s'en tint là. Leur ardeur refroidie,
Il en fallut venir au dénouement ;
Trois actes eut sans plus la comédie
Sur le minuit l'amant s'étant sauvé,
Le brin de fil aussitôt fut tiré
Par un des siens sur qui époux se rue,
Et le contraint en occupant la rue
D'entrer chez lui. Le tenant au collet,
Et ne sachant que ce fût un valet
Bien à propos lui fut donné le change
Dans le logis est un vacarme étrange
La femme accourt au bruit que fait l'époux.
Le compagnon se jette à leurs genoux ;
Dit qu'il venait trouver la chambrière ;
Qu'avec ce fil il la tirait à soi
Pour faire ouvrir ; et que depuis naguère
Tous deux s étaient entre-donné la foi .
C'est donc cela, poursuivit la commère
En s'adressant à la fille, en colère,
Que l'autre jour je vous vis à l'orteil
Un brin de fil : je m'en mis un pareil,
Pour attraper avec ce stratagème
Votre galant. Or bien, c'est votre époux :
A la bonne heure : il faut cette nuit même
Sortir d'ici. Berlinguier fut plus doux ;
Dit qu'il fallait au lendemain attendre.
On les dota l'un et l'autre amplement ;
L'époux, la fille ; et le valet l'amant
Puis au moutier le couple s'alla rendre ;
Se connaissant tous deux de plus d'un jour.
Ce fut la fin qu'eut le troisième tour.
Lequel vaut mieux ? Pour moi, je m'en rapporte
Macée ayant pouvoir de décider,
Ne sut à qui la victoire accorder
Tant cette affaire à resoudre était forte.
Toutes avaient eu raison de gager.
Le procès pend, et pendra de la sorte
Encor longtemps, comme l'on peut juger.

Le calendrier des vieillards

Nouvelle tirée de Boccace
Plus d'une fois je me suis étonné
Que ce qui fait la paix du mariage
En est le point le moins considéré,
Lorsque l'on met une fille en ménage.
Les père et mère ont pour objet le bien ;
Tout le surplus, ils le comptent pour rien,
Jeunes tendrons à vieillards apparient.
Et cependant je vois qu'ils se soucient
D'avoir chevaux à leur char attelés
De même taille, et mêmes chiens couplés :
Ainsi des boeufs, qui de force pareille
Sont toujours pris : car ce serait merveille
Si sans cela la charrue allait bien.
Comment pourrait celle du mariage
Ne mal aller, étant un attelage
Qui bien souvent ne se rapporte en rien ?
J'en vas conter un exemple notable.
On sait qui fut Richard de Quinzica,
Qui mainte fête à sa femme allégua,
Mainte vigile, et maint jour fériable,
Et du devoir crut s'échapper par là.
Très lourdement il errait en cela.
Cestui Richard était juge dans Pise,
Homme savant en l'étude des lois,
Riche d'ailleurs ; mais dont la barbe grise
Montrait assez qu'il devait faire choix
De quelque femme à peu près de même age ;
Ce qu'il ne fit, prenant en mariage
La mieux séante, et la plus jeune d'ans
De la cité, fille bien alliée,
Belle surtout ; c'était Bartholomée
De Galandi, qui parmi ses parents
Pouvait compter les plus gros de la ville.
En ce ne fit Richard tour d'homme habile
: Et l'on disait communément de lui,
Que ses enfants ne manqueraient de pères.
Tel fait métier de conseiller autrui,
Qui ne voit goutte en ses propres affaires.
Quinzica donc n'ayant de quoi servir
Un tel oiseau qu'était Bartholomée,
Pour s'excuser, et pour la contenir,
Ne rencontrait point de jour en l'année,
Selon son compte, et son calendrier,
Ou l'on se pût sans scrupule appliquer
Au fait d'hymen ; chose aux vieillards commode ;
Mais dont le sexe abhorre la méthode.
Quand je dis point, je veux dire très peu :
Encor ce peu lui donnait de la peine.
Toute en féries il mettait la semaine ;
Et bien souvent faisait venir en jeu
Saint qui ne fut jamais dans la légende.
Le vendredi, disait-il, nous demande
D'autres pensers, ainsi que chacun sait :
Pareillement il faut que l'on retranche
Le samedi, non sans juste sujet,
D'autant que c'est la veille du dimanche.
Pour ce dernier, c'est un jour de repos.
Quant au lundi, je ne trouve à propos
De commencer par ce point la semaine ;
Ce n'est le fait d'une âme bien chrétienne.
Les autres jours autrement s'excusait :
Et quand venait aux fêtes solennelles,
C'était alors que Richard triomphait,
Et qu'il donnait les leçons les plus belles
Longtemps devant toujours il s'abstenait
Longtemps après il en usait de même ;
Aux Quatre-Temps autant il en faisait ;
Sans oublier l'Avent ni le Carême.
Cette saison pour le vieillard était
Un temps de Dieu, jamais ne s'en lassait.
De patrons même il avait une liste.
Point de quartier pour un évangéliste,
Pour un apôtre, ou bien pour un docteur
Vierge n'était, martyr, et confesseur ;
Qu'il ne chommât ; tous les savait par coeur
Que s'il était au bout de son scrupule,
Il alléguait les jours malencontreux ;
Puis les brouillards, et puis la canicule,
De s'excuser n'étant jamais honteux.
La chose ainsi presque toujours égale,
Quatre fois l'an, de grâce spéciale,
Notre docteur régalait sa moitié,
Petitement ; enfin c'était pitié.
A cela près, il traitait bien sa femme.
Les affiquets, les habits à changer,
Joyaux, bijoux, ne manquaient à la dame ;
Mais tout cela n'est que pour amuser
Un peu de temps des esprits de poupée ;
Droit au solide allait Bartholomée.
Son seul plaisir dans la belle saison,
C'était d'aller à certaine maison
Que son mari possédait sur la côte :
Ils y couchaient tous les huit jours sans faute.
Là quelquefois sur la mer ils montaient,
Et le plaisir de la pêche goûtaient,
Sans s'éloigner que bien peu de la rade.
Arrive donc, qu'un jour de promenade,
Bartholomée et Messer le docteur,
Prennent chacun une barque à pécheur,
Sortent sur mer ; ils avaient fait gageure
A qui des deux aurait plus de bonheur,
Et trouverait la meilleure aventure
Dedans sa pêche, et n'avaient avec eux,
Dans chaque barque, en tout qu'un homme ou deux.
Certain corsaire aperçut la chaloupe
De notre epouse, et vint avec sa troupe
Fondre dessus ; l'emmena bien et beau ;
Laissa Richard : soit que près du rivage
Il n'osât pas hasarder davantage
Soit qu'il craignît qu'ayant dans son vaisseau
Notre vieillard, il ne pût de sa proie
Si bien jouir ; car il aimait la joie
Plus que l'argent, et toujours avait fait
Avec honneur son metier de corsaire,
Au jeu d'amour était homme d'effet,
Ainsi que sont gens de pareille affaire.
Gens de mer sont toujours prêts à bien faire
Ce qu'on appelle autrement bons garçons :
On n'en voit point qui les fêtes allègue.
Or tel était celui dont nous parlons,
Ayant pour nom Pagamin de Monègue.
La belle fit son devoir de pleurer
Un demi-jour, tant qu'il se put étendre :
Et Pagamin de la réconforter ;
Et notre épouse à la fin de se rendre.
Il la gagna ; bien savait son métier.
Amour s'en mit, Amour ce bon apôtre,
Dix mille fois plus corsaire que l'autre,
Vivant de rapt, faisant peu de quartier.
La belle avait sa rançon toute prête :
Très bien lui prit d'avoir de quoi payer ;
Car là n'était ni vigile ni fête.
Elle oublia ce beau calendrier
Rouge partout, et sans nul jour ouvrable :
De la ceinture on le lui fit tomber ;
Plus n'en fut fait mention qu'à la table.
Notre légiste eût mis son doigt au feu
Que son épouse était toujours fidèle,
Entière, et chaste ; et que moyennant Dieu
Pour de l'argent on lui rendrait la belle.
De Pagamin il prit un sauf-conduit,
L'alla trouver, lui mit la carte blanche .
Pagamin dit : Si je n'ai pas bon bruit
C'est à grand tort : je veux vous rendre franche
Et sans rançon votre chère moitié.
Ne plaise à Dieu que si belle amitié
Soit par mon fait de désastre ainsi pleine.
Celle pour qui vous prenez tant de peine
Vous reviendra selon votre désir.
Je ne veux point vous vendre ce plaisir.
Faites-moi voir seulement qu'elle est vôtre ;
Car si j'allais vous en rendre quelque autre,
Comme il m'en tombe assez entre les mains,
Ce me serait une espèce de blâme.
Ces jours passés je pris certaine dame,
Dont les cheveux sont quelque peu châtains,
Grande de taille, en bon point, jeune, et fraîche
Si cette belle après vous avoir vu
Dit être à vous, c'est autant de conclu :
Reprenez-la : rien ne vous en empêche.
Richard reprit : Vous parlez sagement :
Et me traitez trop généreusement.
De son métier il faut que chacun vive.
Mettez un prix à la pauvre captive,
Je le payerai comptant, sans hésiter.
Le compliment n'est ici nécessaire :
Voilà ma bourse, il ne faut que compter.
Ne me traitez que comme on pourrait faire
En pareil cas l'homme le moins connu.
Serait-il dit que vous m'eussiez vaincu
D'honnêteté ? non sera sur mon âme.
Vous le verrez. Car, quant à cette dame,
Ne doutez point qu'elle ne soit à moi.
Je ne veux pas que vous m'ajoutiez foi,
Mais aux baisers que de la pauvre femme
Je recevrai, ne craignant qu'un seul point :
C'est qu'à me voir de joie elle ne meure.
On fait venir l'épouse tout à l'heure,
Qui froidement et ne s'émouvant point,
Devant ses yeux voit son mari paraître.
Sans témoigner seulement le connaître,
Non plus qu'un homme arrive du Pérou.
Voyez, dit-il, la pauvrette est honteuse
Devant les gens ; et sa joie amoureuse
N'ose éclater : soyez sur qu'à mon cou,
Si j'étais seul, elle serait sautée.
Pagamin dit : Qu'il ne tienne à cela :
Dedans sa chambre allez, conduisez-la.
Ce qui fut fait : et la chambre fermée ;
Richard commence : Et là, Bartholomée,
Comme tu fais ! je suis ton Quinzica,
Toujours le même à l'endroit de sa femme.
Regarde-moi. Trouves-tu, ma chère âme,
En mon visage un si grand changement !
C'est la douleur de ton enlèvement
Qui, me rend tel ; et toi seule en es cause.
T'ai-je jamais refusé nulle chose,
Soit pour ton jeu, soit pour tes vêtements ?
En était-il quelqu'une de plus brave ?
De ton vouloir ne me rendais-je esclave ?
Tu le seras étant avec ces gens.
Et ton honneur, que crois-tu qu'il devienne ?
Ce qu'il pourra, répondit brusquement Bartholomée.
Est-il temps maintenant
D'en avoir soin ? s'en est-on mis en peine
Quand malgré moi l'on m'a jointe avec vous ?
Vous vieux penard, moi fille jeune et drue,
Qui méritais d'être un peu mieux pourvue,
Et de goûter ce qu'Hymen a de doux.
Pour cet effet j'étais assez aimable ;
Et me trouvais aussi digne, entre nous,
De ces plaisirs, que j'en étais capable.
Or est le cas allé d'autre façon.
J'ai pris mari qui pour toute chanson
N'a jamais eu que quelques jours de férie ;
Mais Pagamin, sitôt qu'il m'eut ravie,
Me sut donner bien une autre leçon.
J'ai plus appris des choses de la vie
Depuis deux jours, qu'en quatre ans avec vous.
Laissez-moi donc, Monsieur mon cher époux.
Sur mon retour n'insistez davantage.
Calendriers ne sont point en usage
Chez Pagamin : je vous en avertis.
Vous et les miens avez mérite pis.
Vous pour avoir mal mesuré vos forces
En m'épousant ; eux pour être mépris
En préférant les légères amorces
De quelque bien à cet autre point-là.
Mais Pagamin pour tous y pourvoira.
Il ne sait loi, ni digeste, ni code ;
Et cependant très bonne est sa méthode.
De ce matin lui-même il vous dira
Du quart en sus comme la chose en va.
Un tel aveu vous surprend et vous touche :
Mais faire ici de la petite bouche
Ne sert de rien ; l'on n'en croira pas moins.
Et puisque enfin nous voici sans témoins :
Adieu vous dis, vous, et vos jours de fête.
Je suis de chair. Les habits rien n'y font :
Vous savez bien, Monsieur, qu'entre la tête
Et le talon d'autres affaires sont.
A tant se tut. Richard-tombé des nues,
Fut tout heureux de pouvoir s'en aller.
Bartholomée ayant ses hontes bues
Ne se fit pas tenir pour demeurer.
Le pauvre époux en eut tant de tristesse,
Outre les maux qui suivent la vieillesse,
Qu'il en mourut à quelques jours de là ;
Et Pagamin prit à femme sa veuve.
Ce fut bien fait : nul des deux ne tomba
Dans l'accident du pauvre Quinzica,
S'étant choisis l'un et l'autre à l'épreuve.
Belle leçon pour gens à cheveux gris ;
Sinon qu'ils soient d'humeur accommodante :
Car en ce cas Messieurs les favoris
Font leur ouvrage, et la dame est contente.

A femme avare galant escroc

Nouvelle tirée de Boccace
Qu'un homme soit plumé par des coquettes,
Ce n'est pour faire au miracle crier.
Gratis est mort : plus d'amour sans payer :
En beaux louis se content les fleurettes.
Ce que je dis, des coquettes s'entend.
Pour notre honneur si me faut-il pourtant
Montrer qu'on peut nonobstant leur adresse
En attraper au moins une entre cent ;
Et lui jouer quelque tour de souplesse.
Je choisirai pour exemple Gulphar.
Le drôle fit un trait de franc soudard,
Car aux faveurs d'une belle il eut part
Sans débourser, escroquant la chrétienne.
Notez ceci, et qu'il vous en souvienne
Galants d'épée ; encor bien que ce tour
Pour vous styler soit fort peu nécessaire ;
Je trouverais maintenant à la cour
Plus d'un Gulphar si j'en avais affaire.
Celui-ci donc chez sire Gasparin
Tant fréquenta, qu'il devint à la fin
De son épouse amoureux sans mesure.
Elle était jeune, et belle créature,
Plaisait beaucoup, fors un point qui gâtait
Toute l'affaire, et qui seul rebutait
Les plus ardents ; c'est qu'elle était avare.
Ce n'est pas chose en ce siècle fort rare.
Je l'ai jà dit, rien n'y font les soupirs.
Celui-là parle une langue barbare
Qui l'or en main n'explique ses désirs.
Le jeu, la jupe, et l'amour des plaisirs,
Sont les ressorts que Cupidon emploie :
De leur boutique il sort chez les François
Plus de cocus que du cheval de Troie
Il ne sortit de héros autrefois.
Pour revenir à l'humeur de la belle,
Le compagnon ne put rien tirer d'elle
Qu'il ne parlât . Chacun sait ce que c'est
Que de parler le lecteur s'il lui plaît,
Me permettra de dire ainsi la chose.
Gulphar donc parle, et si bien qu'il propose
Deux cents écus. La belle l'écouta :
Et Gasparin à Gulphar les prêta
(Ce fut le bon ), puis aux champs s'en alla,
Ne soupçonnant aucunement sa femme.
Gulphar les donne en présence de gens.
Voilà, dit-il, deux cents écus comptants,
Qu'à votre époux vous donnerez, Madame.
La belle crut qu'il avait dit cela
Par politique, et pour jouer son rôle.
Le lendemain elle le régala
Tout de son mieux, en femme de parole.
Le drôle en prit ce jour et les suivants
Pour son argent, et même avec usure :
A bon payeur on fait bonne mesure.
Quand Gasparin fut de retour des champs,
Gulphar lui dit, son épouse présente :
J'ai votre argent à Madame rendu,
N'en ayant eu pour une affaire urgente
Aucun besoin, comme je l'avais cru :
Déchargez-en votre livre de grâce.
A ce propos aussi froide que glace,
Notre galande avoua le reçu.
Qu'eut-elle fait ? on eut prouvé la chose.
Son regret fut d'avoir enflé la dose
De ses faveurs ; c'est ce qui la fâchait :
Voyez un peu la perte que c'était !
En la quittant, Gulphar alla tout droit
Conter ce cas, le corner par la ville
Le publier, le prêcher sur les toits
De l'en blâmer il serait inutile :
Ainsi vit-on chez nous autres François.

On ne s'avise jamais de tout

Conte tiré des cent nouvelles nouvelles
Certain jaloux ne dormant que d'un oeil,
Interdisait tout commerce à sa femme.
Dans le dessein de prévenir la dame
Il avait fait un fort ample recueil
De tous les tours que le sexe sait faire.
Pauvre ignorant ! comme si cette affaire
N'était une hydre, à parler franchement.
Il captivait sa femme cependant ;
De ses cheveux voulait savoir le nombre ;
La faisait suivre, à toute heure, en tous lieux,
Par une vieille au corps tout rempli d'yeux,
Qui la quittait aussi peu que son ombre.
Ce fou tenait son recueil fort entier
ll le portait en guise de psautier,
Croyant par là cocuage hors de gamme .
Un jour de fête, arrive que la dame
En revenant de l'église passa
Près d'un logis, d'où quelqu'un lui jeta
Fort à propos plein un panier d'ordure.
On s'excusa : la pauvre créature
Toute vilaine entra dans le logis.
Il lui fallut dépouiller ses habits.
Elle envoya quérir une autre jupe,
Dès en entrant, par cette douagna,
Qui hors d'haleine à Monsieur raconta
Tout l'accident. Foin, dit-il, celui-là
N'est dans mon livre, et je suis pris pour dupe :
Que le recueil au diable soit donne.
Il disait bien ; car on n'avait jeté
Cette immondice, et la dame gâté,
Qu'afin qu'elle eut quelque valable excuse
Pour éloigner son dragon quelque temps.
Un sien galant ami de là-dedans
Tout aussitôt profita de la ruse.
Nous avons beau sur ce sexe avoir l'oeil :
Ce n'est coup sûr encontre tous esclandres.
Maris jaloux, brûlez votre recueil
Sur ma parole, et faites-en des cendres.

Le villageois qui cherche son veau

Conte tiré des cent nouvelles nouvelles
Un villageois ayant perdu son veau,
L'alla chercher dans la forêt prochaine
Il se plaça sur l'arbre le plus beau,
Pour mieux entendre, et pour voir dans la plaine.
Vient une dame avec un jouvenceau
Le lieu leur plaît, l'eau leur vient à la bouche
Et le galant, qui sur l'herbe la couche,
Crie en voyant je ne sais quels appas :
O dieux, que vois-je, et que ne vois-je pas !
Sans dire quoi ; car c'étaient lettres closes.
Lors le manant les arrêtant tout coi.
Homme de bien, qui voyez tant de choses,
Voyez-vous point mon veau ? dites-le moi.

L'anneau d'Hans Carvel

Conte tiré de R. (Rabelais)
Hans Carvel prit sur ses vieux ans
Femme jeune en toute manière ;
Il prit aussi soucis cuisants ;
Car l'un sans l'autre ne va guère.
Babeau (c'est la jeune femelle, Fille du bailli Concordat)
Fut du bon poil, ardente, et belle
Et propre à l'amoureux combat.
Carvel craignant de sa nature
Le cocuage et les railleurs,
Alléguait à la créature
Et la Légende, et l'Ecriture,
Et tous les livres les meilleurs :
Blâmait les visites secrètes ;
Frondait l'attirail des coquettes,
Et contre un monde de recettes,
Et de moyens de plaire aux yeux,
Invectivait tout de son mieux.
A tous ces discours la galande
Ne s'arrêtait aucunement ;
Et de sermons n'était friande
A moins qu'ils fussent d'un amant.
Cela faisait que le bon sire
Ne savait tantôt plus qu'y dire,
Eut voulu souvent être mort.
Il eut pourtant dans son martyre
Quelques moments de réconfort :
L'histoire en est très véritable.
Une nuit, qu'ayant tenu table,
Et bu force bon vin nouveau,
Carvel ronflait près de Babeau,
Il lui fut avis que le diable
Lui mettait au doigt un anneau,
Qu'il lui disait. . : Je sais la peine
Qui te tourmente, et qui te gène ;
Carvel, j'ai pitié de ton cas,
Tiens cette bague, et ne la lâches.
Car tandis qu'au doigt tu l'auras,
Ce que tu crains point ne seras,
Point ne seras sans que le saches.
Trop ne puis vous remercier,
Dit Carvel, la faveur est grande.
Monsieur Satan, Dieu vous le rende,
Grand merci Monsieur l'aumônier
Là-dessus achevant son somme,
Et les yeux encore aggraves,
Il se trouva que le bon homme
Avait le doigt ou vous savez.

Le gascon puni

Un Gascon, pour s'être vanté
De posséder certaine belle
Fut puni de sa vanité
D'une façon assez nouvelle.
Il se vantait à faux et ne possédait rien.
Mais quoi ! tout médisant est prophète en ce monde
On croit le mal d'abord, mais à l'égard du bien
Il faut qu'un public en réponde.
La dame cependant du Gascon se moquait :
Même au logis pour lui rarement elle était :
Et bien souvent qu'il la traitait
D'incomparable et de divine,
La belle aussitôt s'enfuyait,
S'allant sauver chez sa voisine.
Elle avait nom Philis, son voisin Eurilas,
La voisine Cloris, le Gascon Dorilas,
Un sien ami, Damon : c'est tout, si j'ai mémoire.
Ce Damon, de Cloris, à ce que dit l'histoire,
Etait amant aimé, galant, comme on voudra,
Quelque chose de plus encor que tout cela.
Pour Philis, son humeur libre, gaie, et sincère
Montrait qu'elle était sans affaire,
Sans secret, et sans passion.
On ignorait le prix de sa possession :
Seulement à l'user chacun la croyait bonne.
Elle approchait vingt ans ; et venait d'enterrer
Un mari (de ceux-là que l'on perd sans pleurer,
Vieux barbon qui laissait d'écus plein une tonne. )
En mille endroits de sa personne
La belle avait de quoi mettre un Gascon aux cieux,
Des attraits par-dessus les yeux,
Je ne sais quel air de pucelle,
Mais le coeur tant soit peu rebelle ;
Rebelle toutefois de la bonne façon.
Voilà Philis. Quant au Gascon,
I1 était Gascon, c'est tout dire.
Je laisse à penser si le sire
Importuna la veuve, et s'il fit des serments
Ceux des Gascons et des Normands
Passent peu pour mots d'Evangile.
C'était pourtant chose facile
De croire Dorilas de Philis amoureux ;
Mais il voulait aussi que l'on le crut heureux.
Philis dissimulant, dit un jour à cet homme :
Je veux un service de vous :
Ce n'est pas d'aller jusqu'à Rome ;
C'est que vous nous aidiez à tromper un jaloux.
La chose est sans péril, et même fort aisée.
Nous voulons que cette nuit-ci
Vous couchiez avec le mari
De Cloris, qui m'en a priée.
Avec Damon s'étant brouillée,
Il leur faut une nuit entière, et par-delà,
Pour démêler entre eux tout ce différend-là.
Notre but est qu'Eurilas pense,
Vous sentant près de lui, que ce soit sa moitié.
Il ne lui touche point, vit dedans l'abstinence,
Et, soit par jalousie, ou bien par impuissance,
A retranché d'hymen certains droits d'amitié ;
Ronfle toujours, fait la nuit d'une traite :
C'est assez qu'en son lit il trouve une cornette.
Nous vous ajusterons : enfin, ne craignez rien :
Je vous récompenserai bien.
Pour se rendre Philis un peu plus favorable,
Le Gascon eut couché, dit-il, avec le diable.
La nuit vient, on le coiffe, on le met au grand lit,
On éteint les flambeaux, Eurilas prend sa place ;
Du Gascon la peur se saisit ;
Il devient aussi froid que glace ;
N'oserait tousser ni cracher,
Beaucoup moins encor s'approcher :
Se fait petit, se serre, au bord se va nicher,
Et ne tient que moitié de la rive occupée :
Je crois qu'on l'aurait mis dans un fourreau d'épée.
Son coucheur cette nuit se retourna cent fois ;
Et jusque sur le nez lui porta certains doigts
Que la peur lui fit trouver rudes.
Le pis de ses inquiétudes,
C'est qu'il craignait qu'enfin un caprice amoureux
Ne prit à ce mari : tels cas sont dangereux,
Lorsque l'un des conjoints se sent privé du somme.
Toujours nouveaux sujets alarmaient le pauvre homme.
L'on étendait un pied ; l'on approchait un bras :
Il crut même sentir la barbe d'Eurilas.
Mais voici quelque chose à mon sens de terrible.
Une sonnette était près du chevet du lit :
Eurilas de sonner, et faire un bruit horrible.
Le Gascon se pâme à ce bruit ;
Cette fois-là se croit détruit,
Fait un voeu, renonce à sa dame ;
Et songe au salut de son âme.
Personne ne venant, Eurilas s'endormit
Avant qu'il fut jour on ouvrit
Philis l'avait promis ; quand voici de plus belle
Un flambeau comble de tous maux.
Le Gascon après ces travaux
Se fût bien levé sans chandelle.
Sa perte était alors un point tout assuré.
On approche du lit. Le pauvre homme éclaire
Prie Eurilas qu'il lui pardonne.
Je le veux, dit une personne
D'un ton de voix rempli d'appas.
C'était Philis, qui d'Eurilas
Avait tenu la place, et qui sans trop attendre
Tout en chemise s'alla rendre
Dans les bras de Cloris qu'accompagnait Damon.
C'étais, dis-je, Philis, qui conta du Gascon
La peine et la frayeur extrême
Et qui pour l'obliger à se tuer soi-même,
En lui montrant ce qu'il avait perdu,
Laissait son sein à demi-nu.

La Fiancée du roi de Garbe

Il n'est rien qu'on ne conte en diverses façons :
On abuse du vrai comme on fait de la feinte :
Je le souffre aux récits qui passent pour chansons,
Chacun y met du sien sans scrupule et sans crainte.
Mais aux événements de qui la vérité
Importe à la postérité,
Tels abus méritent censure.
Le fait d'Alaciel est d'une autre nature.
Je me suis écarté de mon original.
On en pourra gloser ; on pourra me mécroire :
Tout cela n'est pas un grand mal :
Alaciel et sa mémoire
Ne sauraient guère perdre à tout ce changement.
J'ai suivi mon auteur en deux points seulement :
Points qui font véritablement
Le plus important de l'histoire.
L'un est que par huit mains Alaciel passa
Avant que d'entrer dans la bonne :
L'autre que son fiancé ne s'en embarrassa,
Ayant peut-être en sa personne
De quoi négliger ce point-là.
Quoi qu'il en soit, la belle en ses traverses,
Accidents, fortunes diverses,
Eut beaucoup à souffrir, beaucoup à travailler ;
Changea huit fois de chevalier :
Il ne faut pas pour cela qu'on l'accuse :
Ce n était après tout que bonne intention,
Gratitude, ou compassion,
Crainte de pis, honnête excuse.
Elle n'en plut pas moins aux yeux de son fiancé.
Veuve de huit galants, il la prit pour pucelle,
Et dans son erreur par la belle
Apparemment il fut laissé.
Qu'on n'y puisse être pris, la chose est toute claire,
Mais après huit, c'est une étrange affaire :
Je me rapporte de cela
A quiconque a passé par là.
Zaïr soudan d'Alexandrie,
Aima sa fille Alaciel
Un peu plus que sa propre vie :
Aussi ce qu'on se peut figurer sous le ciel,
De bon, de beau, de charmant et d'aimable,
D'accommodant, j'y mets encor ce point,
La rendait d'autant estimable ;
En cela je n'augmente point.
Au bruit qui courait d'elle en toutes ces provinces,
Mamolin roi de Garbe en devint amoureux.
Il la fit demander, et fut assez heureux
Pour l'emporter sur d'autres princes.
La belle aimait déjà ; mais on n'en savait rien
Filles de sang royal ne se déclarent guères.
Tout se passe en leur coeur ; cela les fâche bien ;
Car elles sont de chair ainsi que les bergères
Hispal, jeune Seigneur de la cour du soudan,
Bien fait, plein de mérite, honneur de l'Alcoran,
Plaisait fort à la dame, et d'un commun martyre,
Tous deux bûulaient sans oser se le dire ;
Ou s'ils se le disaient, ce n'était que des yeux.
Comme ils en étaient là, l'on accorda la belle.
Il fallut se résoudre à partir de ces lieux.
Zaïr fit embarquer son amant avec elle.
S'en fier à quelque autre eût peut-être été mieux.
Après huit jours de traite, un vaisseau de corsaires
Ayant pris le dessus du vent,
Les attaqua ; le combat fut sanglant ;
Chacun des deux partis y fit mal ses affaires.
Les assaillants, faits aux combats de mer,
Etaient les plus experts en l'art de massacrer ;
Joignaient l'adresse au nombre : Hispal par sa vaillance
Tenait les choses en balance.
Vingt corsaires pourtant montèrent sur son bord.
Grifonio le gigantesque
Conduisait l'horreur et la mort
Avecque cette soldatesque.
Hispal en un moment se vit environné.
Maint corsaire sentit son bras déterminé.
De ses yeux il sortait des éclairs et des flammes.
Cependant qu'il était au combat acharné,
Grifonio courut à la chambre des femmes.
Il savait que l'infante était dans ce vaisseau ;
Et l'ayant destinée à ses plaisirs infâmes,
Il l'emportait comme un moineau ;
Mais la charge pour lui n'étant pas suffisante,
Il prit aussi la cassette aux bijoux,
Aux diamants, aux témoignages doux
Que reçoit et garde une amante :
Car quelqu'un m'a dit, entre nous,
Qu'Hispal en ce voyage avait fait à l'infante
Un aveu dont d'abord elle parut contente,
Faute d'avoir le temps de s'en mettre en courroux.
Le malheureux corsaire, emportant cette proie,
N'en eut pas longtemps de la joie.
Un des vaisseaux, quoiqu'il fût accroché,
S'étant quelque peu détaché,
Comme Grifonio passait d'un bord à l'autre,
Un pied sur son navire, un sur celui d'Hispal,
Le héros d'un revers coupe en deux l'animal :
Part du tronc tombe en l'eau, disant sa patenôtre,
Et reniant Mahom, Jupin, et Tarvagant,
Avec maint autre dieu non moins extravagant :
Part demeure sur pieds, en la même posture.
On aurait ri de l'aventure,
Si la belle avec lui n'eût tombé dedans l'eau.
Hispal se jette après : l'un et l'autre vaisseau,
Malmené du combat, et privé de pilote,
Au gré d'Eole et de Neptune flotte.
La mort fit lâcher prise au géant pourfendu.
L'infante par sa robe en tombant soutenue,
Fut bientôt d'Hispal secourue.
Nager vers les vaisseaux eût été temps perdu :
Ils étaient presque à demi-mille.
Ce qu'il jugea de plus facile,
Fut de gagner certains rochers,
Qui d'ordinaire étaient la perte des nochers,
Et furent le salut d'Hispal et de l'infante.
Aucuns ont assuré comme chose constante,
Que même du péril la cassette échappa ;
Qu'à des cordons étant pendue,
La belle après soi la tira ;
Autrement elle était perdue.
Notre nageur avait l'infante sur son dos
Le premier roc gagne, non pas sans quelque peine,
La crainte de la faim suivit celle des flots ;
Nul vaisseau ne parut sur la liquide plaine.
Le jour s'achève ; il se passe une nuit ;
Point de vaisseau près d'eux par le hasard conduit ;
Point de quoi manger sur ces roches :
Voilà notre couple réduit
A sentir de la faim les premières approches.
Tous deux privés d'espoir, d'autant plus malheureux,
Qu'aimés aussi bien qu'amoureux,
Ils perdaient doublement en leur mésaventure.
Après s'être longtemps regardés sans parler,
Hispal, dit la princesse, il se faut consoler ;
Les pleurs ne peuvent rien près de la Parque dure.
Nous n'en mourrons pas moins ; mais il dépend de nous
D'adoucir l'aigreur de ses coups ;
C'est tout ce qui nous reste en ce malheur extrême.
Se consoler ! dit-il, le peut-on quand on aime ?
Ah ! si. . mais non, Madame, il n'est pas à propos
Que vous aimiez ; vous seriez trop à plaindre.
Je brave à mon égard et la faim et les flots ;
Mais jetant l'oeil sur vous je trouve tout à craindre.
La princesse à ces mots ne se put plus contraindre.
Pleurs de couler, soupirs d'être poussés,
Regards d'être au ciel adressés,
Et puis sanglots, et puis soupirs encore :
En ce même langage Hispal lui repartit :
Tant qu'enfin un baiser suivit :
S'il fut pris ou donné c'est ce que l'on ignore.
Après force voeux impuissants,
Le héros dit : Puisqu'en cette aventure
Mourir nous est chose si sûre,
Qu'importe que nos corps des oiseaux ravissants
Ou des monstres marins deviennent la pâture ?
Sépulture pour sépulture,
La mer est égale, à mon sens :
Qu'attendons-nous ici qu'une fin languissante ?
Serait-il point plus à propos
De nous abandonner aux flots ?
J'ai de la force encor, la côte est peu distante,
Le vent y pousse ; essayons d'approcher ;
Passons de rocher en rocher :
J'en vois beaucoup ou je puis prendre haleine.
Alaciel s'y résolut sans peine.
Les revoilà sur l'onde ainsi qu'auparavant,
La cassette en laisse suivant,
Et le nageur poussé du vent,
De roc en roc portant la belle,
Façon de naviger nouvelle.
Avec l'aide du ciel, et de ses reposoirs,
Et de Dieu qui préside aux liquides manoirs,
Hispal n'en pouvant plus, de faim, de lassitude,
De travail et d'inquiétude,
(Non pour lui, mais pour ses amours),
Après avoir jeuné deux jours,
Prit terre à la dixième traite,
Lui, la princesse, et la cassette.
Pourquoi, me dira-t-on, nous ramener toujours
Cette cassette ? est-ce une circonstance
Qui soit de si grande importance ?
Oui selon mon avis ; on va voir si j'ai tort.
Je ne prends point ici l'essor,
Ni n'affecte de railleries.
Si j'avais mis nos gens à bord
Sans argent et sans pierreries,
Seraient-ils pas demeurés court ?
On ne vit ni d'air ni d'amour.
Les amants ont beau dire et faire,
Il en faut revenir toujours au nécessaire.
La cassette y pourvut avec maint diamant.
Hispal vendit les uns, mit les autres en gages ;
Fit achat d'un château le long de ces rivages ;
Ce château, dit l'histoire, avait un parc fort grand,
Ce parc un bois, ce bois de beaux ombrages,
Sous ces ombrages nos amants
Passaient d'agréables moments :
Voyez combien voilà de choses enchaînées,
Et par la cassette amenées.
Or au fond de ce bois un certain antre était,
Sourd et muet, et d'amoureuse affaire,
Sombre surtout ; la nature semblait
L'avoir mis là non pour autre mystère.
Nos deux amants se promenant un jour,
Il arriva que ce fripon d'Amour
Guida leurs pas vers ce lieu solitaire.
Chemin faisant Hispal expliquait ses désirs,
Moitié par ses discours, moitié par ses soupirs,
Plein d'une ardeur impatiente ;
La princesse écoutait incertaine et tremblante.
Nous voici, disait-il, en un bord étranger,
Ignorés du reste des hommes ;
Profitons-en ; nous n'avons à songer
Qu'aux douceurs de l'amour en l'état ou nous sommes.
Qui vous retient ? on ne sait seulement
Si nous vivons ; peut-être en ce moment
Tout le monde nous croit au corps d'une baleine.
Ou favorisez votre amant,
Ou qu'à votre époux il vous mène.
Mais pourquoi vous mener ? vous pouvez rendre heureux
Celui dont vous avez éprouvé la constance.
Qu'attendez-vous pour soulager ses feux ?
N'est-il point assez amoureux,
Et n'avez-vous point fait assez de résistance ?
Hispal haranguait de façon
Qu'il aurait échauffé des marbres,
Tandis qu'Alaciel, a l'aide d'un poinçon,
Faisait semblant d'écrire sur les arbres.
Mais l'amour la faisait rêver
A d'autres choses qu'à graver
Des caractères sur l'écorce.
Son amant et le lieu l'assuraient du secret :
C'était une puissante amorce.
Elle résistait à regret :
Le printemps par malheur était lors en sa force.
Jeunes coeurs sont bien empêchés
A tenir leurs désirs cachés,
Etant pris par tant de manières.
Combien en voyons-nous se laisser pas à pas
Ravir jusqu'aux faveurs dernières,
Qui dans l'abord ne croyaient pas
Pouvoir accorder les premières ?
Amour, sans qu'on y pense, amène ces instants.
Mainte fille a perdu ses gants,
Et femme au partir s'est trouvée,
Qui ne sait la plupart du temps
Comme la chose est arrivée.
Près de l'antre venus, notre amant proposa
D'entrer dedans ; la belle s'excusa ;
Mais malgré soi, déjà presque vaincue.
Les services d'Hispal en ce même moment
Lui reviennent devant la vue.
Ses jours sauvés des flots, son honneur d'un géant :
Que lui demandait son amant ?
Un bien dont elle était à sa valeur tenue
Il vaut mieux, disait-il, vous en faire un ami,
Que d'attendre qu'un homme à la mine hagarde
Vous le vienne enlever ; Madame, songez-y ;
L'on ne sait pour qui l'on le garde.
L infante à ces raisons se rendant à demi,
Une pluie acheva l'affaire :
Il fallut se mettre à l'abri :
Je laisse à penser où. Le reste du mystère
Au fond de l'antre est demeuré.
Que l'on la blâme ou non, je sais plus d'une belle
A qui ce fait est arrivé
Sans en avoir moitié d'autant d'excuses qu'elle.
L'ancre ne les vit seul de ces douceurs jouir :
Rien ne coûte en amour que la première peine.
Si les arbres parlaient, il ferait bel ouïr
Ceux de ce bois ; car la forêt n'est pleine
Que des monuments amoureux
Qu'Hispal nous a laissés, glorieux de sa proie.
On y verrait écrit : Ici pâma de joie
Des mortels le plus heureux
Là mourut un amant sur le sein de sa dame
En cet endroit, mille baisers de flamme
Furent donnés, et mille autres rendus. +
Le parc dirait beaucoup, le château beaucoup plus,
Si châteaux avaient une langue.
La chose en vint au point que, las de tant d'amour
Nos amants à la fin regrettèrent la cour.
La belle s'en ouvrit, et voici sa harangue :
Vous m'êtes cher, Hispal ; j'aurais du déplaisir,
Si vous ne pensiez pas que toujours je vous aime.
Mais qu'est-ce qu'un amour sans crainte et sans désir ?
Je vous le demande à vous-même.
Ce sont des feux bientôt passés,
Que ceux qui ne sont point dans leur cours traversés ;
Il y faut un peu de contrainte.
Je crains fort qu'à la fin ce séjour si charmant
Ne nous soit un désert, et puis un monument ;
Hispal, ôtez-moi cette crainte.
Allez-vous-en voir promptement
Ce qu'on croira de moi dedans Alexandrie,
Quand on saura que nous sommes en vie.
Déguisez bien notre séjour :
Dites que vous venez préparer mon retour,
Et faire qu'on m'envoie une escorte si sûre,
Qu'il n'arrive plus d'aventure.
Croyez-moi, vous n'y perdrez rien :
Trouvez seulement le moyen
De me suivre en ma destinée,
Ou de fillage, ou d'hymenée ;
Et tenez pour chose assurée
Que si je ne vous fais du bien
Je serai de près éclairée.
Que ce fut ou non son dessein,
Pour se servir d'Hispal, il fallait tout promettre.
Dès qu'il trouve à propos de se mettre en chemin,
L'infante pour Zaïr le charge d'une lettre.
Il s'embarque, il fait voile, il vogue, il a bon vent ;
Il arrive à la cour, où chacun lui demande
S'il est mort, s'il est vivant,
Tant la surprise fut grande ;
En quels lieux est l'infante, enfin ce qu'elle fait.
Dès qu'il eut à tout satisfait,
On fit partir une escorte puissante.
Hispal fut retenu ; non qu'on eût en effet
Le moindre soupçon de l'infante.
Le chef de cette escorte était jeune et bien fait.
Abordé près du parc, avant tout il partage
Sa troupe en deux, laisse l'une au rivage,
Va droit avec l'autre au château.
La beauté de l'infante était beaucoup accrue :
Il en devint épris à la premiere vue ;
Mais tellement épris, qu'attendant qu'il fît beau,
Pour ne point perdre temps, il lui dit sa pensée.
Elle s'en tint fort offensée ;
Et l'avertit de son devoir.
Temoigner en tels cas un peu de désespoir,
Est quelquefois une bonne recette.
C'est ce que fait notre homme ; il forme le dessein
De se laisser mourir de faim ;
Car de se poignarder, la chose est trop tôt faite :
On n'a pas le temps d'en venir
Au repentir.
D'abord Alaciel riait de sa sottise.
Un jour se passe entier, lui sans cesse jeûnant,
Elle toujours le détournant
D'une si terrible entreprise.
Le second jour commence à la toucher.
Elle rêve à cette aventure.
Laisser mourir un homme, et pouvoir l'empêcher !
C'est avoir l'âme un peu trop dure.
Par pitié donc elle condescendit
Aux volontés du capitaine ;
Et cet office lui rendit
Gaîment, de bonne grâce, et sans montrer de peine ;
Autrement le remède eût été sans effet.
Tandis que le galant se trouve satisfait,
Et remet les autres affaires,
Disant tantôt que les vents sont contraires,
Tantôt qu'il faut radouber ses galères,
Pour être en état de partir,
Tantôt qu'on vient de l'avertir
Qu'il est attendu des corsaires :
Un corsaire en effet arrive, et surprenant
Ses gens demeurés à la rade,
Les tue, et va donner au château l'escalade :
Du fier Grifonio c'était le lieutenant.
Il prend le chateau d'emblée.
Voilà la fête troublée.
Le jeûneur maudit son sort.
Le corsaire apprend d'abord
L'aventure de la belle,
Et la tirant à l'écart,
Il en veut avoir sa part.
Elle fit fort la rebelle.
Il ne s'en étonna pas,
N'étant novice en tels cas.
Le mieux que vous puissiez faire,
Lui dit tout franc ce corsaire,
C'est de m'avoir pour ami ;
Je suis corsaire et demi.
Vous avez fait jeûner un pauvre misérable
Qui se mourait pour vous d'amour ;
Vous jeûnerez à votre tour,
Ou vous me serez favorable.
La justice le veut : nous autres gens de mer
Savons rendre à chacun selon ce qu'il mérite ;
Attendez-vous de n'avoir à manger
Que quand de ce côté vous aurez été quitte.
Ne marchandez point tant, Madame, et croyez-moi.
Qu'eût fait Alaciel ? force n'a point de loi.
S'accommoder à tout est chose nécessaire.
Ce qu'on ne voudrait pas souvent il le faut faire.
Quand il plaît au destin que l'on en vienne là,
Augmenter sa souffrance est une erreur extrême ;
Si par pitié d'autrui la belle se força,
Que ne point essayer par pitié de soi-même ?
Elle se force donc, et prend en gré le tout.
Il n'est affliction dont on ne vienne à bout.
Si le corsaire eût été sage,
Il eut mené l'infante en un autre rivage.
Sage en amour ? hélas, il n'en est point.
Tandis que celui-ci croit avoir tout à point,
Vent pour partir, lieu propre pour attendre,
Fortune qui ne dort que lorsque nous veillons,
Et veille quand nous sommeillons,
Lui trame en secret cet esclandre.
Le seigneur d'un château voisin de celui-ci,
Homme fort ami de la joie,
Sans nulle attache, et sans souci
Que de chercher toujours quelque nouvelle proie,
Ayant eu le vent des beautés,
Perfections, commodités,
Qu'en sa voisine on disait être
Ne songeait nuit et jour qu'à s'en rendre le maître.
Il avait des amis, de l'argent, du crédit ;
Pouvait assembler deux mille hommes ;
Il les assemble donc un beau jour, et leur dit :
Souffrirons-nous, braves gens que nous sommes,
Qu'un pirate à nos yeux se gorge de butin ?
Qu'il traite comme esclave une beauté divine ?
Allons tirer notre voisine
D'entre les griffes du mâtin.
Que ce soir chacun soit en armes ;
Mais doucement et sans donner d'alarme :
Sous les auspices de la nuit,
Nous pourrons nous rendre sans bruit
Au pied de ce château, dès la petite pointe
Du jour.
La surprise à l'ombre étant jointe
Nous rendra sans hasard maîtres de ce séjour.
Pour ma part du butin je ne veux que la dame :
Non pas pour en user ainsi que ce voleur ;
Je me sens un désir en l'âme,
De lui restituer ses biens et son honneur.
Tout le reste est à vous, hommes, chevaux, bagage,
Vivres, munitions, enfin tout l'équipage
Dont ces brigands ont rempli la maison.
Je vous demande encor un don ;
C'est qu'on pende aux créneaux haut et court le corsaire.
Cette harangue militaire
Leur sut tant d'ardeur inspirer,
Qu'il en fallut une autre afin de modérer
Le trop grand désir de bien faire.
Chacun repaît le soir étant venu :
L'on mange peu ; l'on boit en récompense :
Quelques tonneaux sont mis sur cu.
Pour avoir fait cette dépense,
Il s'est gagné plusieurs combats,
Tant en Allemagne qu'en France.
Ce seigneur donc n'y manqua pas ;
Et ce fut un trait de prudence.
Mainte échelle est portée, et point d'autre embarras.
Point de tambours, force bons coutelas.
On part sans bruit, on arrive en silence.
L'orient venait de s'ouvrir.
C'est un temps ou le somme est dans sa violence,
Et qui par sa fraîcheur nous contraint de dormir.
Presque tout le peuple corsaire
Du sommeil à la mort n'ayant qu'un pas à faire,
Fut assommé sans le sentir.
Le chef pendu, l'on amène l'infante.
Son peu d'amour pour le voleur,
Sa surprise et son épouvante,
Et les civilités de son libérateur
Ne lui permirent pas de répandre des larmes.
Sa prière sauva la vie à quelques gens.
Elle plaignit les morts, consola les mourants,
Puis quitta sans regret ces lieux remplis d'alarmes.
On dit même qu'en peu de temps
Elle perdit la mémoire
De ses deux derniers galants ;
Je n'ai pas peine à le croire.
Son voisin la reçut en un appartement
Tout brillant d'or, et meublé richement.
On peut s'imaginer l'ordre qu'il y fit mettre.
Nouvel hôte, et nouvel amant,
Ce n'était pas pour rien omettre ;
Grande chère surtout, et des vins fort exquis.
Les dieux ne sont pas mieux servis.
Alaciel qui de sa vie
Selon sa Loi n'avait bu vin,
Goûta ce soir par compagnie
De ce breuvage si divin.
Elle ignorait l'effet d'une liqueur si douce,
Insensiblement fit carrouse :
Et comme amour jadis lui troubla la raison,
Ce fut lors un autre poison.
Tous deux sont à craindre des dames.
Alaciel mise au lit par ses femmes,
Ce bon seigneur s'en fut la trouver tout d'un pas.
Quoi trouver ? dira-t-on ; d'immobiles appas ?
Si j'en trouvais autant je saurais bien qu'en faire,
Disait l'autre jour un certain :
Qu'il me vienne une même affaire,
On verra si j'aurai recours à mon voisin.
Bacchus donc, et Morphée, et hôte de la belle,
Cette nuit disposèrent d'elle.
Les charmes des premiers dissipés à la fin,
La princesse au sortir du somme
Se trouva dans les bras d'un homme.
La frayeur lui glaça la voix :
Elle ne put crier, et de crainte saisie
Permit tout à son hôte, et pour un autrefois
Lui laissa lier la partie.
Une nuit, lui dit-il. est de même que cent ;
Ce n'est que la première à quoi l'on trouve à dire.
Alaciel le crut. L'hôte enfin se lassant
Pour d'autres conquêtes soupire.
Il part un soir, prie un de ses amis
De faire cette nuit les honneurs du logis,
Prendre sa place, aller trouver la belle,
Pendant l'obscurité se coucher auprès d'elle,
Ne point parler, qu'il était fort aisé ;
Et qu'en s'acquittant bien de l'emploi proposé
L'infante assurément agrérait son service.
L'autre bien volontiers lui rendit cet office.
Le moyen qu'un ami puisse être refusé ?
A ce nouveau venu la voila donc en proie.
Il ne put sans parler contenir cette joie.
La belle se plaignit être ainsi leur jouet :
Comment l'entend Monsieur mon hôte ?
Dit-elle, et de quel droit me donner comme il fait ?
L'autre confessa qu'en effet
Ils avaient tort ; mais que toute la faute
Etait au maître du logis.
Pour vous venger de son mépris,
Poursuivit-il, comblez-moi de caresses.
Enchérissez sur les tendresses
Que vous eûtes pour lui tant qu'il fut votre amant :
Aimez-moi par dépit et par ressentiment,
Si vous ne pouvez autrement.
Son conseil fut suivi, l'on poussa les affaires,
L'on se vengea, l'on n'omit rien.
Que si l'ami s'en trouva bien,
L'hôte ne s'en tourmenta guères.
Et de cinq si j'ai bien compté.
Le sixième incident des travaux de l'infante
Par quelques-uns est rapporté
D'une manière différente.
Force gens concluront de là
Que d'un galant au moins je fais grâce à la belle,
C'est médisance que cela :
Je ne voudrais mentir pour elle.
Son époux n'eut assurément
Que huit précurseurs seulement.
Poursuivons donc notre nouvelle.
L'hôte revint quand l'ami fut content.
Alaciel lui pardonnant,
Fit entre eux les choses égales :
La clémence sied bien aux personnes royales.
Ainsi de main en main Alaciel passait
Et souvent se divertissait
Aux menus ouvrages des filles
Qui la servaient, toutes assez gentilles.
Elle en aimait fort une à qui l'on en contait ;
Et le conteur était un certain gentilhomme
De ce logis, bien fait et galant homme
Mais violent dans ses désirs,
Et grand ménager de soupirs,
Jusques à commencer près de la plus sévère
Par où l'on finit d'ordinaire.
Un jour au bout du parc le galant rencontra
Cette fillette Et dans un pavillon fit tant qu'il l'attira
Toute seulette.
L'infante était fort près de là :
Mais il ne la vit point, et crut en assurance
Pouvoir user de violence.
Sa médisante humeur, grand obstacle aux faveurs,
Peste d'amour, et des douceurs
Dont il tire sa subsistance
Avait de ce galant souvent grêlé l'espoir.
La crainte lui nuisait autant que le devoir.
Cette fille l'aurait selon toute apparence
Favorisé,
Si la belle eut osé.
Se voyant craint de cette sorte,
Il fit tant qu'en ce pavillon
Elle entra par occasion ;
Puis le galant ferme la porte :
Mais en vain, car l'infante avait de quoi l'ouvrir.
La fille voit sa faute, et tâche de sortir.
Il la retient : elle crie, elle appelle :
L'infante vient, et vient comme il fallait,
Quand sur ses fins la demoiselle était.
Le galant indigne de la manquer si belle
Perd tout respect, et jure par les dieux,
Qu'avant que sortir de ces lieux,
L'une ou l'autre payera sa peine ;
Quand il devrait leur attacher les mains.
Si loin de tous secours humains,
Dit-il, la résistance est vaine.
Tirez au sort sans marchander ;
Je ne saurais vous accorder
Que cette grâce ;
Il faut que l'une ou l'autre passe
Pour aujourd'hui.
Qu'a fait Madame ? dit la belle,
Pâtira-t-elle pour autrui ?
Oui si le sort tombe sur elle,
Dit le galant, prenez-vous-en à lui.
Non non, reprit alors l'infante,
Il ne sera pas dit que l'on ait, moi présente,
Violenté cette innocente.
Je me résous plutôt à toute extrémité.
Ce combat plein de charité
Fut par le sort à la fin terminé.
L'infante en eut toute la gloire :
Il lui donna sa voix, à ce que dit l'histoire :
L'autre sortit, et l'on jura
De ne rien dire de cela.
Mais le galant se serait laissé pendre
Plutôt que de cacher un secret si plaisant ;
Et pour le divulguer il ne voulut attendre
Que le temps qu'il fallait pour trouver seulement
Quelqu'un qui le voulût entendre.
Ce changement de favoris
Devint à l'infante une peine ;
Elle eut regret d'être l'Hélène
D'un si grand nombre de Paris.
Aussi l'Amour se jouait d'elle.
Un jour entre autres que la belle
Dans un bois dormait à l'écart
Il s'y rencontra par hasard
Un chevalier errant, grand chercheur d'aventures
De ces sortes de gens que sur des palefrois
Les belles suivaient autrefois,
Et passaient pour chastes et pures.
Celui-ci qui donnait à ses désirs l'essor,
Comme faisaient jadis Rogel et Galaor,
N'eut vu la princesse endormie,
Que de prendre un baiser il forma le dessein ;
Tout prêt à faire choix de la bouche ou du sein,
Il était sur le point d'en passer son envie,
Quand tout d'un coup il se souvint
Des lois de la chevalerie.
A ce penser il se retint,
Priant toutefois en son âme
Toutes les puissances d'amour
Qu'il put courir en ce séjour
Quelque aventure avec la dame.
L'infante s'éveilla surprise au dernier point.
Non non, dit-il, ne craignez point ;
Je ne suis géant ni sauvage
Mais chevalier errant, qui rends grâces aux dieux
D'avoir trouvé dans ce bocage
Ce qu'à peine on pourrait rencontrer dans les cieux.
Après ce compliment, sans plus longue demeure,
Il lui dit en deux mots l'ardeur qui l'embrasait ;
C'était un homme qui faisait
Beaucoup de chemin en peu d'heure.
Le refrain fut d'offrir sa personne et son bras,
Et tout ce qu'en semblables cas
On a de coutume de dire
A celles pour qui l'on soupire.
Son offre fut reçue, et la belle lui fit
Un long roman de son histoire,
Supprimant, comme l'on peut croire,
Les six galants. L'aventurier en prit
Ce qu'il crut à propos d'en prendre ;
Et comme Alaciel de son sort se plaignit,
Cet inconnu s'engagea de la rendre
Chez Zaïr ou dans Garbe, avant qu'il fut un mois.
Dans Garbe ? non, reprit-elle, et pour cause :
Si les dieux avaient mis la chose
Jusques à présent à mon choix,
J'aurais voulu revoir Zaïr et ma patrie.
Pourvu qu'Amour me prête vie,
Vous les verrez, dit-il. C'est seulement à vous
D'apporter remède à vos coups,
Et consentir que mon ardeur s'apaise :
Si j'en mourais (à vos bontés ne plaise)
Vous demeureriez seule ; et pour vous parler franc
Je tiens ce service assez grand,
Pour me flatter d'une espérance
De récompense.
Elle en tomba d'accord, promit quelques douceurs,
Convint d'un nombre de faveurs,
Qu'afin que la chose fut sûre,
Cette princesse lui payrait,
Non tout d'un coup, mais à mesure
Que le voyage se ferait ;
Tant chaque jour, sans nulle faute.
Le marché s'étant ainsi fait,
La princesse en croupe se met,
Sans prendre congé de son hôte.
L'inconnu qui pour quelque temps
S'était défait de tous ses gens,
La rencontra bientôt. Il avait dans sa troupe
Un sien neveu fort jeune, avec son gouverneur.
Notre héroïne prend en descendant de croupe
Un palefroi. Cependant le seigneur
Marche toujours à côté d'elle,
Tantôt lui conte une nouvelle,
Et tantôt lui parle d'amour,
Pour rendre le chemin plus court.
Avec beaucoup de foi le traité s'exécute :
Pas la moindre ombre de dispute
Point de faute au calcul, non plus qu'entre marchands
De faveur en faveur (ainsi comptaient ces gens)
Jusqu'au bord de la mer enfin ils arrivèrent
Et s'embarquèrent.
Cet élément ne leur fut pas moins doux
Que l'autre avait été ; certain calme au contraire
Prolongeant le chemin, augmenta le salaire.
Sains et gaillards ils s'embarquèrent tous
Au port de Joppe, et là se rafraîchirent ;
Au bout de deux jours en partirent,
Sans autre escorte que leur train :
Ce fut aux brigands une amorce :
Un gros d'Arabes en chemin
Les ayant rencontrés, ils cédaient à la force,
Quand notre aventurier fit un dernier effort
Repoussa les brigands, reçut une blessure
Qui le mit dans la sépulture ;
Non sur-le-champ ; devant sa mort
I1 pourvut à la belle, ordonna du voyage,
En chargea son neveu jeune homme de courage,
Lui léguant par même moyen
Le surplus des faveurs, avec son équipage,
Et tout le reste de son bien.
Quand on fut revenu de toutes ces alarmes
Et que l'on eut versé certain nombre de larmes
On satisfit au testament du mort ;
On paya les faveurs, dont enfin la dernière
Echut justement sur le bord
De la frontière.
En cet endroit le neveu la quitta,
Pour ne donner aucun ombrage ;
Et le gouverneur la guida
Pendant le reste du voyage.
Au soudan il la présenta.
D'exprimer ici la tendresse,
Ou pour mieux dire les transports,
Que témoigna Zaïr en voyant la princesse,
I1 faudrait de nouveaux efforts ;
Et je n'en puis plus faire : il est bon que j'imite
Phébus, qui sur la fin du jour
Tombe d'ordinaire si court
Qu'on dirait qu'il se précipite.
Le gouverneur aimait à se faire écouter ;
Ce fut un passe-temps de l'entendre conter
Monts et merveilles de la dame
Qui riait sans doute en son âme.
Seigneur, dit le bon homme en parlant au soudan,
Hispal étant parti, Madame incontinent,
Pour fuir oisiveté, principe de tout vice,
Résolut de vaquer nuit et jour au service
D'un dieu qui chez ces gens a beaucoup de crédit.
Je ne vous aurais jamais dit
Tous ses temples et ses chapelles,
Nommés pour la plupart alcôves et ruelles.
Là les gens pour idole ont un certain oiseau,
Qui dans ses portraits est fort beau,
Quoiqu'il n'ait des plumes qu'aux ailes.
Au contraire des autres dieux,
Qu'on ne sert que quand on est vieux,
La jeunesse lui sacrifie.
Si vous saviez l'honnête vie
Qu'en le servant menait Madame Alaciel,
Vous béniriez cent fois le Ciel
De vous avoir donné fille tant accomplie.
Au reste en ces pays on vit d'autre façon
Que parmi vous ; les belles vont et viennent :
Point d'eunuques qui les retiennent ;
Les hommes en ces lieux ont tous barbe au menton.
Madame dès l'abord s'est faite à leur méthode,
Tant elle est de facile humeur ;
Et je puis dire à son honneur
Que de tout elle s'accommode.
Zaïr était ravi. Quelques jours écoulés,
La princesse partit pour Garbe en grande escorte.
Les gens qui la suivaient furent tous régalés
De beaux présents ; et d'une amour si forte
Cette belle toucha le coeur de Mamolin,
Qu'il ne se tenait pas. On fit un grand festin,
Pendant lequel, ayant belle audience,
Alaciel conta tout ce qu'elle voulut.
Dit les mensonges qu'il lui plut.
Mamolin et sa cour écoutaient en silence.
La nuit vint : on porta la reine dans son lit.
A son honneur elle en sortit :
Le prince en rendit témoignage.
Alaciel, à ce qu'on dit
N'en demandait pas davantage.
Ce conte nous apprend que beaucoup de maris
Qui se vantent de voir fort clair en leurs affaires
N'y viennent bien souvent qu'après les favoris,
Et tout savants qu'ils sont ne s'y connaissent guères.
Le plus sûr toutefois est de se bien garder,
Craindre tout, ne rien hasarder.
Filles maintenez-vous ; l'affaire est d'importance.
Rois de Garbe ne sont oiseaux communs en France.
Vous voyez que l'hymen y suit l'accord de près :
C'est là l'un des plus grands secrets
Pour empêcher les aventures.
Je tiens vos amitiés fort chastes et fort pures
Mais Cupidon alors fait d'étranges leçons :
Rompez-lui toutes ses mesures :
Pourvoyez à la chose aussi bien qu'aux soupçons.
Ne m'allez point conter : c'est le droit des garçons
Les garçons sans ce droit ont assez où se prendre.
Si quelqu'une pourtant ne s'en pouvait défendre,
Le remède sera de rire en son malheur.
Il est bon de garder sa fleur ;
Mais pour l'avoir perdue, il ne se faut pas pendre.

L'ermite

Dame Venus, et Dame Hypocrisie,
Font quelquefois ensemble de bons coups ;
Tout homme est homme, les ermites sur tous ;
Ce que j'en dis, ce n'est point par envie.
Avez-vous soeur, fille, ou femme jolie,
Gardez le froc ; c'est un maître Gonin ;
Vous en tenez s'il tombe sous sa main
Belle qui soit quelque peu simple et neuve .
Pour vous montrer que je ne parle en vain,
Lisez ceci, je ne veux autre preuve.
Un jeune ermite était tenu pour saint :
On lui gardait place dans la Légende .
L homme de Dieu d'une corde était ceint
Pleine de noeuds, mais sous sa houppelande
Logeait le coeur d'un dangereux paillard.
Un chapelet pendait à sa ceinture
Long d'une brasse, et gros outre mesure ;
Une clochette était de l'autre part.
Au demeurant, il faisait le cafard,
Se renfermait voyant une femelle,
Dedans sa coque, et baissait la prunelle :
Vous n'auriez dit qu'il eut mange le lard.
Un bourg était dedans son voisinage,
Et dans ce bourg une veuve fort sage,
Qui demeurait tout a l'extrémité.
Elle n'avait pour tout bien qu'une fille
Jeune, ingénue, agréable et gentille ;
Pucelle encor ; mais a la vérité
Moins par vertu que par simplicité,
Peu d'entregent, beaucoup d'honnêteté,
D'autre dot point, d'amants pas davantage.
Du temps d'Adam qu'on naissait tout vêtu,
Je pense bien que la belle en eut eu,
Car avec rien on montait un ménage.
Il ne fallait matelas ni linceul :
Même le. lit était pas nécessaire.
Ce temps n'est plus. Hymen qui marchait seul,
Mène a présent a sa suite un notaire.
L'anachorète, en quêtant par le bourg,
Vit cette fille, et dit sous son capuce :
Voici de quoi ; si tu sais quelque tour,
Il te le faut employer, frère Luce.
Pas n y manqua, voici comme il s'y prit.
Elle logeait, comme j'ai déjà dit,
Tout près des champs, dans une maisonnette,
Dont la cloison par notre anachorète
Etant perche aisément et sans bruit,
Le compagnon par une belle nuit
(Belle, non pas, le vent et la tempête
Favorisaient le dessein du galant)
Une nuit donc, dans le pertuis mettant
Un long cornet, tout du haut de la tête
Il leur cria : Femmes écoutez-moi.
A cette voix, toutes pleines d'effroi,
Se blottissant, I'une et l'autre est en transe.
Il continue, et corne a toute outrance
Réveillez-vous créatures de Dieu,
Toi femme veuve, et toi fille pucelle :
Allez trouver mon serviteur fidèle
L'ermite Luce, et partez de ce lieu
Demain marin sans le dire a personne ;
Car c est ainsi que le Ciel vous l'ordonne.
Ne craignez point, je conduirai vos pas,
Luce est bénin. Toi veuve tu feras
Que de ta fille il ait la compagnie ;
Car d'eux doit naitre un pape, dont la vie
Réformera tout le peuple chrétien.
La chose fut tellement prononcée,
Que dans le lit l'une et l'autre enfoncée
Ne laissa pas de l'entendre fort bien.
La peur les tint un quart d'heure en silence.
La fille enfin met le nez hors des draps
Et puis tirant sa mère par le bras,
Lui dit d'un ton tout rempli d'innocence :
Mon Dieu ! maman, y faudra-t-il aller ?
Ma compagnie ? hélas ! qu'en veut-il faire ?
Je ne sais pas comment il faut parler ;
Ma cousine Anne est bien mieux son affaire
Et retiendrait bien mieux tous ses sermons.
Sotte, tais-toi, lui répartit la mère,
C'est bien cela ; va, va, pour ces leçons
Il n'est besoin de tout l'esprit du monde :
Dès la première, ou bien dès la seconde,
Ta cousine Anne en saura moins que toi.
Oui ? dit la fille, hé mon Dieu, menez-moi.
Partons bientôt, nous reviendrons au gîte,
Tout doux, reprit la mère en souriant.
Il ne faut pas que nous allions si vite :
Car que sait-on ? le diable est bien méchant,
Et bien trompeur ; si c'était lui, ma fille,
Qui fut venu pour nous tendre des lacs ?
As-tu pris garde ? il parlait d'un ton cas,
Comme je crois que parle la famille
De Lucifer. Le fait mérite bien
Que sans courir ni précipiter rien,
Nous nous gardions de nous laisser surprendre.
Si la frayeur t'avait fait mal entendre :
Pour moi j'avais l'esprit tout éperdu.
Non non, maman, j'ai fort bien entendu,
Dit la fillette. Or bien reprit la mère,
Puisque ainsi va, mettons-nous en prière.
Le lendernain, tout le jour se passa
A raisonner, et par-ci, et par-là,
Sur cette voix et sur cette rencontre.
La nuit venue arrive le corneur :
Il leur cria d'un ton à faire peur :
Femme incrédule et qui vas à l'encontre
Des volontés de Dieu ton créateur,
Ne tarde plus, va-t'en trouver l'ermite,
Ou tu mourras. La fillette reprit :
Hé bien, maman, l'avais-je pas bien dit ?
Mon Dieu partons ; allons rendre visite
A l'homme saint ; je crains tant votre mort
Que j'y courrais, et tout de mon plus fort,
S'il le fallait. Allons donc, dit la mère.
La belle mit son corset des bons jours
Son demi-ceint, ses pendants de velours,
Sans se douter de ce qu'elle allait faire .
Jeune fillette a toujours soin de plaire.
Notre cagot s'était mis aux aguets,
Et par un trou qu'il avait fait exprès
A sa cellule, il voulait que ces femmes
Le pussent voir comme un brave soldat
Le fouet en main, toujours en un état
De pénitence, et de tirer des flammes
Quelque défunt puni pour ses méfaits,
Faisant si bien en frappant tout auprès,
Qu'on crut ouïr cinquante disciplines.
Il n'ouvrit pas a nos deux pèlerines
Du premier coup, et pendant un moment
Chacune peut l'entrevoir s'escrimant
Du saint outil. Enfin la porte s'ouvre,
Mais ce ne fut d'un bon Miserere.
Le papelard contrefait l'etonné.
Tout en tremblant la veuve lui découvre,
Non sans rougir, le cas comme il était.
A six pas d'eux la fillette attendait
Le résultat, qui fut que notre ermite
Les renvoya, fit le bon hypocrite.
Je crains, dit-il, les ruses du malin :
Dispensez-moi, le sexe féminin
Ne doit avoir en ma cellule entrée.
Jamais de moi saint-père ne naîtra.
La veuve dit, toute déconfortée :
Jamais de vous ? et pourquoi ne fera ?
Elle ne put en tirer autre chose.
En s'en allant la fillette disait :
Hélas ! maman, nos pêchés en sont cause.
La nuit revient, et l'une et l'autre était
Au premier somme, alors que l'hypocrite
Et son cornet font bruire la maison.
Il leur cria toujours du même ton :
Retournez voir Luce le saint ermite.
Je l'ai changé, retournez dès demain.
Les voilà donc derechef en chemin.
Pour ne tirer plus en long cette histoire,
Il les reçût. La mère s'en alla,
Seule s'entend, la fille demeura,
Tout doucement il vous l'apprivoisa,
Lui prit d'abord son joli bras d'ivoire,
Puis s'approcha, puis en vint au baiser,
Puis aux beautés que l'on cache à la vue,
Puis le. galant vous la mit toute nue,
Comme s'il eut voulu la baptiser.
O papelards ! qu'on se trompe à vos mines !
Tant lui donna du retour de matines,
Que maux de coeur vinrent premièrement,
Et maux de coeur chassés, Dieu sait comment.
En fin finale, une certaine enflure
La contraignit d'allonger sa ceinture :
Mais en cachette, et sans en avertir
Le forge-pape, encore moins la mère.
Elles craignait qu'on ne la fît partir :
Le jeu d'amour commençait à lui plaire.
Vous me direz : d'où lui vint tant d'esprit ?
D'où ? de ce jeu, c'est l'arbre de science.
Sept mois entiers la galande attendit ;
Elle allégua son peu d'expérience.
Dès que la mère eut indice certain
De sa grossesse, elle lui fit soudain
Trousser bagage et remercia l'hôte.
Lui de sa part rendit grâce au Seigneur
Qui soulageait son pauvre serviteur.
Puis, au départ, il leur dit que sans faute,
Moyennant Dieu, l'enfant viendrait à bien.
Gardez pourtant, Dame, de faire rien
Qui puisse nuire à votre gantière.
Ayez grand soin de cette créature,
Car tout bonheur vous en arrivera.
Vous régnerez, serez la signora,
Ferez monter aux grandeurs tous les vôtres,
Princes les uns et grands seigneurs les autres.
Vos cousins ducs, cardinaux vos neveux :
Places, châteaux, tant pour vous que pour eux,
Ne manqueront en aucune manière,
Non plus que l'eau qui coule en la rivière.
Leur ayant fait cette prédiction,
Il leur donna sa bénédiction.
La signora, de retour chez sa mère,
S'entretenait jour et nuit du saint-père,
Préparait tout, lui faisait des béguins :
Au demeurant prenait tous les matins
La couple d'oeufs, attendait en liesse
Ce qui viendrait d'une telle grossesse.
Mais ce qui vint détruisit les châteaux,
Fit avorter les mitres, les chapeaux,
Et les grandeurs de toute la famille.
La signora mit au monde une fille.

Mazet de Lamporechio

Le voile n'est le rempart le plus sûr
Contre l'Amour, ni le moins accessible .
Un bon mari, mieux que grille ni mur,
Y pourvoira, si pourvoir est possible.
C'est à mon sens une erreur trop visible
A des parents, pour ne dire autrement,
De présumer, après qu'une personne,
Bon gré, mal gré, s'est mise en un couvent,
Que Dieu prendra ce qu'ainsi l'on lui donne.
Abus, abus ; je tiens que le Malin
N'a revenu plus clair et plus certain
(Sauf toutefois l'assistance divine. )
Encore un coup ne faut qu'on s'imagine
Que d'être pure et nette de pêché
Soit privilège à la guimpe attaché.
Nenni da, non ; je prétends qu'au contraire,
Filles du monde ont toujours plus de peur,
Que l'on ne donne atteinte à leur honneur ;
La raison est qu'elles en ont affaire.
Moins d'ennemis attaquent leur pudeur.
Les autres n'ont pour un seul adversaire.
Tentatlon, fille d'oisiveté,
Ne manque pas d'agir de son côté :
Puis le désir, enfant de la contrainte.
Ma fille est nonne, Ergo, c'est une sainte,
Mal raisonner. Des quatre parts les trois
En ont regret et se mordent les doigts ;
Font souvent pis ; au moins l'ai-je ouï dire ;
Car pour ce point je parle sans savoir.
Boccace en fait certain conte pour rire,
Que j'ai rimé comme vous allez voir.
Un bon vieillard en un couvent de filles
Autrefois fut, labourait le jardin.
Elles étaient toutes assez gentilles,
Et volontiers jasaient dès le matin.
Tant ne songeaient au service divin,
Qu'à soi montrer ès parloirs aguimpées,
Bien blanchement, comme droites poupées,
Prête chacune à tenir coup aux gens ;
Et n'était bruit qu'il se trouvât léans
Fille qui n'eût de quoi rendre le change,
Se renvoyant l'une à l'autre l'éteuf.
Huit soeurs étaient, et l'abbesse sont neuf,
Si mal d'accord que c'était chose étrange.
De la beauté la plupart en avaient ;
De la jeunesse elles en avaient toutes.
En cettui lieu beaux pères fréquentaient,
Comme on peut croire ; et tant bien supputaient
Qu'il ne manquait à tomber sur leurs routes.
Le bon vieillard jardinier dessus dit,
Près de ces soeurs perdait presque l'esprit ;
A leur caprice il ne pouvait suffire.
Toutes voulaient au vieillard commander ;
Dont ne pouvant entre elles s'accorder,
Il souffrait plus que l'on ne saurait dire.
Force lui fut de quitter la maison.
Il en sortit de la même facon
Qu'était entré là dedans le pauvre homme,
Sans croix ne pile, et n'ayant rien en somme
Qu'un vieil habit. Certain jeune garcon
De Lamporech, si j'ai bonne mémoire,
Dit au vieillard un beau jour après boire,
Et raisonnant sur le fait des nonnains :
Qu'il passerait bien volontiers sa vie
Près de ces soeurs ; et qu'il avait envie
De leur offrir son travail et ses mains :
Sans demander récompense ni gages.
Le compagnon ne visait à l'argent :
Trop bien croyait, ces soeurs étant peu sages,
Qu'il en pourrait croquer une en passant,
Et puis une autre, et puis toute la troupe.
Nuto lui dit (c'est le nom du vieillard) :
Crois-moi, Mazet, mets-toi quelque autre part.
J'aimerais mieux être sans pain ni soupe
Que d'employer en ce lieu mon travail.
Les nonnes sont un étrange bétail.
Qui n'a tâté de cette marchandise
Ne sait encor ce que c'est que tourment.
Je te le dis, laisse la ce couvent ;
Car d'espérer les servir à leur guise
C'est un abus ; l'une voudra du mou
L'autre du dur ; par quoi je te tiens fou
D'autant plus fou que ces filles sont sottes ;
Tu n'auras pas oeuvre faite entre nous
L'une voudra que tu plantes des choux,
L'autre voudra que ce soit des carottes.
Mazet reprit : Ce n'est pas là e point.
Vois-tu Nuto, je ne suis qu'une bête ;
Mais dans ce lieu tu ne me verras point
Un mois entier, sans qu'on m'y fasse fête.
La raison est que je n'ai que vingt ans ;
Et comme toi je n'ai pas fait mon temps.
Je leur suis propre, et ne demande en somme
Que être admis. Dit alors le bon homme :
Au factotum tu n'as qu'à t'adresser ;
Allons-nous-en de ce pas lui parler.
Allons, dit l'autre. Il me vient une chose
Dedans l'esprit : je ferai le muet
Et l'idiot. Je pense qu'en effet,
Reprit Nuto, cela peut être cause
Que le Pater avec le factotum
N'auront de toi ni crainte ni soupçon.
La chose alla comme ils l'avaient prévue.
Voila Mazet, à qui pour bienvenue
L'on fait bêcher la moitié du jardin.
Il contrefait le sot et le badin,
Et cependant laboure comme un sire.
Autour de lui les nonnes allaient rire.
Un certain jour le compagnon dormant,
Ou bien feignant de dormir, il n'importe :
(Boccace dit qu'il en faisait semblant)
Deux des nonnains le voyant de la sorte
Seul au jardin ; (car sur le haut du jour,
Nulle des soeurs ne faisait long séjour
Hors le logis, le tout crainte du hâle)
De ces deux donc, l'une approchant Mazet,
Dit à sa soeur : Dedans ce cabinet
Menons ce sot : Mazet était beau mâle,
Et la galande à le considérer
Avait pris goût ; pourquoi sans différer
Amour lui fit proposer cette affaire.
L'autre reprit : Là dedans ? et quoi faire ?
Quoi ? dit la soeur, je ne sais, l'on verra ;
Ce que l'on fait alors qu'on en est là :
Ne dit-on pas qu'il se fait quelque chose ?
JESUS, reprit l'autre soeur se signant,
Que dis-tu là ? notre règle défend
De tels pensers. S'il nous fait un enfant ?
Si l'on nous voit ? tu t'en vas être cause
De quelque mal. On ne nous verra point,
Dit la première ; et quant à l'autre point
C'est s'alarmer avant que le coup vienne.
Usons du temps sans nous tant mettre en peine,
Et sans prévoir les choses de si loin.
Nul n'est ici, nous avons tout à point,
L'heure, et le lieu si touffu, que la vue
N'y peut passer ; et puis sur l'avenue
Je suis d'avis qu'une fasse le guet :
Tandis que l'autre étant avec Mazet,
A son bel aise aura lieu de s'instruire :
Il est muet et n'en pourra rien dire.
Soit fait, dit l'autre ; il faut à ton désir
Acquiescer, et te faire plaisir.
Je passerai si tu veux la première
Pour t'obliger au moins à ton loisir
Tu t'ébattras puis après de manière
Qu'il ne sera besoin d'y retourner :
Ce que j'en dis n'est que pour t'obliger.
Je le vois bien, dit l'autre plus sincère :
Tu ne voudrais sans cela commencer
Assurément ; et tu serais honteuse .
Tant y resta cette soeur scrupuleuse,
Qu'à la fin l'autre allant la dégager
De faction la fut faire changer.
Notre muet fait nouvelle partie :
Il s'en tira non si gaillardement :
Cette soeur fut beaucoup plus mal lotie ;
Le pauvre gars acheva simplement
Trois fois le jeu, puis après il fit chasse.
Les deux nonnains n'oublièrent la trace
Du cabinet, non plus que du jardin ;
Il ne fallait leur montrer le chemin.
Mazet, pourtant, se ménagea de sorte
Qu'à Soeur Agnès, quelques jours ensuivant
Il fit apprendre une semblable note
En un pressoir tout au bout du couvent ;
Soeur Angélique et soeur Claude suivirent,
L'une au dortoir, l'autre dans un cellier :
Tant qu'à la fin la cave et le grenier
Du fait des soeurs maintes choses apprirent.
Point n'en resta que le sire Mazet
Ne régalât au moins mal qu'il pouvait.
L'abbesse aussi voulut entrer en danse,
Elle eut son droit, double et triple pitance,
De quoi les soeurs jeûnèrent très longtemps.
Mazet n'avait faute de restaurants ;
Mais restaurants ne sont pas grande affaire
A tant d'emploi. Tant pressèrent le hère,
Qu'avec l'abbesse un jour venant au choc :
J'ai toujours ouï, ce dit-il, qu'un bon coq
N'en a que sept, au moins qu'on ne me laisse
Toutes les neuf. Miracle, dit l'abbesse,
Venez mes soeurs, nos jeunes ont tant fait
Que Mazet parle. A l'entour du muet,
Non plus muet, toutes huit accoururent ;
Tinrent chapitre, et sur l'heure conclurent
Qu'à l'avenir Mazet serait choyé
Pour le plus sûr ; car qu'il fut renvoyé,
Cela rendrait la chose manifeste.
Le compagnon bien nourri, bien payé
Fit ce qu'il put, d'autres firent le reste.
Il les engea de petits Mazillons,
Desquels on fit de petits moinillons ;
Ces moinillons devinrent bientôt pères ;
Comme les soeurs devinrent bientôt mères
A leur regret, pleines d'humilité ;
Mais jamais nom ne fut mieux mérité.